Réinventer notre économie à partir des tiers-lieux et de la permaéconomie

Une recension par Jean-Pascal Derumier :

J’ai lu récemment trois livres extrêmement intéressants : « La Dynamique du capitalisme » de Fernand Braudel, « Permaéconomie » d’Emmanuel Delannoy et « Le crépuscule des lieux » de Pierre Giorgini. Le premier éclaire les dynamiques économiques en œuvre dans nos  sociétés, le second développe les contours d’une voie économique émergente pleine de promesses et le troisième évoque comment la transition techno-scientifique en cours est en train de bouleverser notre rapport aux lieux, aux espaces, au local. Je vais m’appuyer sur les propos de ces différents auteurs pour tenter de démontrer comment l’échelon local, revisité à partir des principes de la Permaéconomie et revivifié par le tiers-lieux, peut constituer une alternative efficace aux logiques du capitalisme, ou plus exactement, comment une approche « permaéconomique » développée à partir de tiers-lieux peut contribuer à revivifier le tissu socio-économique local tout en le préservant des mécanismes délétères du capitalisme.

Pour planter le décor, il est intéressant de tirer, comme l’a fait E. Delannoy, le fil de l’analogie entre nos modes de production agricoles industriels et nos modes économiques capitalistiques. Ce faisant, on constate qu’après avoir été à l’origine d’indiscutables avancées, aucun de ces deux modèles ne peut prétendre se maintenir sur la durée. En effet, le premier épuise nos sols et le second nos ressources (humaines et naturelles). Pour l’un, cette dégradation est due à l’usage massif d’engrais chimique. Pour l’autre, elle résulte de notre dépendance à un engrais non moins délétère : l’argent, autour duquel tout s’articule et sans lequel on n’est plus rien. Cette dépendance à la monnaie est à tel point caricaturale qu’elle a fait dire au chef indien Geronimo :  » Quant le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché. Alors on saura que l’argent ne se mange pas ».  Elle est devenue la seule unité de mesure de notre activité économique qui se borne désormais à rendre compte uniquement de « ce qui se compte » (c’est-à-dire à ce qui a une contrepartie monétaire). Ce faisant, comme nous le dit Patrick Viveret, elle occulte une bonne partie, sinon l’essentiel, de  « ce qui compte vraiment pour nous ». Quid de la qualité de nos liens avec nous même,  aux autres ou à notre environnement sans lesquels il n’y aurait ni société, ni économie. Quid aussi des plaisirs de la vie pourtant si essentiels à notre équilibre et de bien d’autres choses. Situation, comme nous allons le voir, largement due au hold-up exercé par le mode économique dominant c’est-à-dire le capitalisme.

De la permaculture à la permaéconomie

Dans son ouvrage « Permaéconomie », E. Delannoy présente la permaculture comme la métaphore d’un modèle économique permettant à l’homme de se développer en préservant, d’une part, les équilibres socio-économiques nécessaires à « une bonne vie » et, d’autre part, les équilibres écologiques nécessaires à la biosphère[1]. Ainsi, à la différence des modes productivistes qui épuisent nos sols,  le modèle de permaculture  contribue à la préservation des équilibres au travers d’une double production : pour nous (nous nourrir) et pour le sol (agriculture régénératrice). La permaéconomie est quant à elle définie comme « une nouvelle économie  qui, en entretenant elle-même les conditions de sa propre pérennité, créera les conditions d’un épanouissement humain durable et compatible avec la biosphère ». Elle va donc encore plus loin que la permaculture, car elle vise à une triple production : production de biens et de richesses ; production qui réinvestit dans le capital naturel (pour éviter qu’il ne se dégrade) et production de capital humain et social (donc générateur de lien et de coopération). Selon E. Delannoy, les briques constitutives de la permaéconomie sont déjà là. Ce sont notamment l’économie circulaire, l’économie des fonctionnalités, le biomimétisme, le crowdfonding, les monnaies alternatives, etc. Il insiste tout particulièrement sur la nécessité d’inventer de nouvelles formes de coopérations, car la coopération et plus largement le lien sont  en quelque sorte le moteur de la permaéconomie. En  effet, pour lui, comme de façon plus générale dans la systémique, « ce qui se passe entre les êtres est aussi important que les être eux-mêmes ». Il développe bien entendu de façon intéressante les nombreuses particularités de la nature (non-linéarité, symbioses …), qui sont autant de sources d’inspiration pour notre économie (à venir). Nous y reviendrons un peu plus loin.

En fin d’ouvrage, E. delannoy critique le schéma classique du développement durable (les trois sphères de l’économie, du social et de l’environnemental en intersection). Ce dernier est pour lui intéressant sur son principe … mais ne nous dit rien de ce qu’il faut faire. Il propose en alternative le schéma de René Passet[2], extrait de son livre « l’économique et le vivant », publié en 1979.

Dans cette représentation dite « enchâssée » (c’est  à dire où les trois figures sont imbriquées les unes dans les autres à la manière des poupées russes), la sphère écologique (la biosphère) n’est ni séparée, ni mise en niveau de celles du social et de l’économie, mais les englobe … Elle indique que la biosphère contraint les activités humaines, qui elle-même contraint celle de l’économie. Autrement dit, elle rend compte du fait qu’il n’y aurait pas d’économie sans activité humaine et pas d’activité humaine … sans biosphère. Cette dernière a bien entendu longtemps existé sans activité humaine, et a fortiori sans économie. Mais à l’ère de l’anthropocène, il convient de penser des relations équilibrées, vivantes et dynamiques entre ces trois sphères si on veut préserver un environnement propice à notre (sur)vie. SI vous voulez avoir une explication rapide et claire de la permaéconomie (sur la base de ce schéma de René Passet), je vous invite à regarder une vidéo de 15min en cliquant sur le lien ci-après : https://www.youtube.com/watch?v=Ods61c6mNcY.

Cette approche résolument positive milite pour la refondation de l’économie autour des logiques locales. En effet le principe de la Permaculture, à la différence de l’agriculture productiviste, rend possible (voire nécessite) une production à petite échelle dans laquelle il n’est ni question de spécialisation à outrance ni de mode production industrielle. Elle n’en est pas moins performante, car outre son potentiel de création d’emploi, elle offre des taux de rendement à l’hectare très élevés.

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