Appel pour un biomimétisme au service de la vie !

Je suis heureux de publier aujourd’hui, avec mes co-auteurs que sont Paul Boulanger, Tarik Chekchak, Guillian Graves, Kalina Raskin et Alain Renaudin ainsi qu’une liste de signataires prestigieux, un appel « Pour un biomimétisme au service de la vie ! « .

Je vous invite à consulter le texte intégral de l’appel et la liste à jour des signataires à la page suivante :

https://blog.pikaia.fr/biomimetisme/pour-un-biomimetisme-au-service-de-la-vie/

L’urgence du vivant – vers une nouvelle économie

Il y a des livres qui rendent intelligent. J’utilise ici le terme sans prétention aucune et au sens le plus strict. Le mot « intelligence », désignant la faculté de comprendre les choses et les faits, tire en effet son origine de la fusion des mots latins inter (entre) et ligare (relier). Comprendre, c’est faire des liens entre des concepts, des domaines, des enjeux le plus souvent séparés. Tenter de comprendre ce monde décidément complexe et compliqué, dans lequel tout interagit en boucles infinies, semble relever de la gageure. Essayer de trouver un sens à ses transformations profondes, la plupart du temps silencieuses mais parfois aussi violentes et cacophoniques, semble aujourd’hui un défi insurmontable. En effet, notre mode de raisonnement habituel, dit réductionniste, ou en silo si vous préférez, ne nous équipe pas de manière satisfaisante pour cela. Nous avons besoin de « casser les cloisons », de relier les informations et les savoirs, mais aussi de réconcilier notre intelligence émotionnelle avec celle, plus analytique, de la raison.

Avec « L’urgence du vivant », Dorothée Benoit Browaeys a réalisé un travail impressionnant, qui permet de mieux comprendre les grands défis posés par la confrontation brutale des sociétés humaines aux limites de la biosphère. A travers un regard à la fois systémique et synthétique embrassant l’histoire, l’économie, la sociologie, l’anthropologie, la culture, l’économie, la biologie et l’écologie, elle nous offre les clés de lecture nécessaire pour décrypter les informations et parfois, aussi, démystifier certains des discours les plus envahissants. On pourrait craindre une somme indigeste mais il n’en est rien. Sans rien masquer de la dureté des faits, Dorothée Benoit Browaeys mobilise sa plume élégante et sobre, sa sincérité et sa sensibilité, ainsi que, il faut bien le dire, une réelle érudition pour accompagner le lecteur dans cette exploration du présent et des futurs immédiats possibles.

Comme le rappelle le titre du livre, il y a urgence : nul ne peut plus aujourd’hui le nier. Mais en revenant à l’essentiel, le vivant, « ce bien commun qui inclut tous les autres », Dorothée Benoit Browaeys nous offre, de manière surprenante, un atterrissage en douceur qui laisse le lecteur apaisé, ses énergies prêtes à être mobilisées pour l’action. Si « chercher à comprendre, c’est déjà résister », comme je le rappelais en ouverture de « Permaéconomie », une bonne compréhension des tectoniques sociales, économiques, technologiques et écologiques à l’œuvre est aussi le premier pas vers l’autonomie. « L’urgence du vivant » est une lecture indispensable pour comprendre le monde et se préparer à l’avenir. Non pour le subir, mais pour contribuer activement à sa construction.

« L’urgence du vivant » – Dorothée Benoit-Browaeys – Editions François Bourin

Le Permanagement

Note : C’est un article important que je relaie aujourd’hui, avec l’autorisation de son auteur, Guillaume Pérocheau, enseignant chercheur à Aix-Marseille Université. En proposant une remise à plat des 4 mythes fondateurs du management, il ouvre des perspectives absolument passionnantes. Je n’en dit pas plus et vous laisse lire. Comptez sur moi pour y revenir bientôt. 

L’échec du Management

Depuis les années 50 nous sommes entrés dans l’ère géologique dite de l’Anthropocène, une ère dans laquelle l’activité humaine est la principale force géologique (Crutzen 2002; Steffen et al. 2007). Or il s’agit d’une Anthropocène péjorative : l’extinction des espèces est 100 fois plus rapide que dans l’ère précédente (Leakey 1996), et désormais, chaque année, le suicide fait plus de morts que l’ensemble des guerres sur la planète (Anon n.d.). Si l’activité humaine est la cause de cette Anthropocène, c’est donc qu’il faut revoir notre vision même de ce qu’est l’activité collective des hommes. Or, le paradigme dominant en ce domaine est le management, dont les mythes et récits gouvernent l’activité dans des millions d’entreprises, commerces, prisons, hôpitaux, universités, ONG à travers le monde depuis presque un siècle. Pour vivre un autre anthropocène, une autre ère de l’homme, nous devons donc faire un changement complet de paradigme en matière de management, de gestion, d’organisation.

Pour construire un pont, faire rouler des trains, soigner des patients dans un hôpital, explorer des fonds marins, faire de la recherche, nourrir les hommes, s’amuser, il faut bien se coordonner, se rencontrer, se donner des cadres, avoir un minimum de planification, il faut aussi échanger. Or, depuis le début de la révolution industrielle, nous avons inventé un ensemble de règles, de pratiques, de récits, de concepts, pour orchestrer l’activité collective. Cet ensemble polymorphe, que nous désignons du mot valise « Management », s’appuie selon nous sur 4 mythes fondateurs :

Les 4 mythes fondateurs du Management

  • Le premier mythe, imposé par les économistes, c’est que l’activité collective a comme but principal de satisfaire des agents économiques rationnels (Smith 1776),
  • Le second mythe, issu de l’impérialisme des grandes nations, est que pour croître, on doit, on peut exploiter des ressources naturelles (Zimmerer 2001),
  • Le troisième mythe, issu des sciences de gestion, est que nous avons besoin de règles et de pratiques pour améliorer la performance des organisations (voir … n’importe quel manuel de Management).
  • Et le quatrième mythe, issu de la politique, est que l’arrière-plan de l’activité collective, c’est la guerre économique perpétuelle (Colin 2012).

Ces 4 assertions sont des mythes, en ce sens qu’elles sont des affirmations auto-réalisatrices (Merton 1948), ancrées dans une vision du monde (une ontologie) dualiste. Dualiste, parce qu’elle sépare l’homme de la nature, le corps de la pensée, le Nord du Sud, le client du fournisseur, etc.

Nous proposons ici une alternative, le concept du permanagement, qui décrit un ensemble de principes et d’outils pour repenser l’activité collective, en renversant en profondeur ces quatre mythes pour tenter de construire un Anthropocène heureux. Il s’agit d’un néologisme entre Management et Permaculture. Le préfixe »perma » renvoie également à la permission (que l’on donne, que l’on reçoit, celle d’être libre) et à la perméabilité, qui est une autre manifestation de l’interdépendance.

Le Permanagement dans un monde non-dual

Nous ancrons le permanagement dans une vision non-dual du monde,(Hanh 1988; Besel 2011; Latour 1999) dans laquelle nous comprenons qu’une femme, un homme, un plant de vigne, une entreprise, un pont, un syndicat, un allemand et un indonésien sont interdépendants les uns des autres, et sont des processus en transformation perpétuelle. D’ailleurs cette ontologie non-duale s’impose d’elle-même dans l’Anthropocène, puisque dans cette ère géologique nous savons que la façon dont je mange à Toulon ou dont tu te déplaces à Dijon, aura un impact direct sur les conditions de vie d’un mineur en Afrique, ou sur le devenir de la grande barrière de Corail. Ce n’est donc pas tant une posture politique ou philosophique que le simple ré-alignement avec la nature réelle du monde.

Le schéma du permanagement présenté ci-dessous s’inspire visuellement de la notion japonaise de l’Ikigaï, et aussi de certaines représentations faites du développement durable, en y ajoutant la dimension « s’organiser ».

Aux intersections de ces cercles, apparaissent les notions de Liberté, de responsabilité, d’équité et de durabilité, qui seront commentées par ailleurs.

Satisfaire Homo Economicus => A) Rencontrer des êtres Vivants

Le premier changement de paradigme concerne la notion d’Homo Economicus. L’idée que les hommes au travail, les hommes consommateurs, sont avant tout des agents économiques rationnels faisant des choix rationnels, dans le but de maximiser leur satisfaction personnelle, cette idée reste encore très profondément ancrée dans nos façons de voir les humains (Anderson 2000). Ce concept d’Homo Economicus, projette l’image d’un humain seul, séparé des autres humains et séparé du monde, tentant de satisfaire ses besoins. Et c’est cet être là, insatisfait et égoïste, que le management tente habituellement au mieux de servir ou d’éduquer, de motiver, de contrôler et au pire de manipuler .

Dans le permanangement, nous défendons l’idée de rencontrer des êtres vivants. L’enjeu de la vie, l’enjeu de la vie en société, du travail, de la vie collective, c’est d’aller à la rencontre de l’immense complexité des êtres vivants que nous croisons chaque jour. A commencer par aller à la rencontre de nous-même, de ce qui nous anime. Les humains ont des émotions , un passé, des habitudes, une culture, une langue, un réseau, des rêves, et éventuellement, une inclination profonde à contribuer, à prendre soin (Böckler et al. 2016; Batson 2011; Singer et al. n.d.; Ricard 2013) L’humain que nous décrivent d’autres branches des sciences sociales, comme l’anthropologie, la sociologie, la psychologie, les neurosciences, l’histoire, la littérature, est un être infiniment plus riche et plus complexe que cette vision réductrice d’un homme agent économique.

De plus, l’humain n’est pas le seul être vivant sur cette planète, et dans son activité et ce depuis la nuit des temps, il est accompagné par des animaux et des plantes avec qui il vit en osmose, et sans lesquels aucune vie n’est possible. Ces êtres vivants là aussi, nous souhaitons les rencontrer.

Améliorer la performance des Organisations => B) S’organiser en Harmonie

Le deuxième changement de paradigme concerne notre approche de l’activité collective. Lorsque nous manageons notre activité, nous souhaitons avant tout améliorer la performance de nos organisations. Nous travaillons pour le bien d’une entité abstraite, une personne morale, nous la réifions, nous pensons qu’elle a une culture, une autonomie, nous prenons soin de sa structure, de ses processus, de son image, de ses frontières. Nous feignons de croire que nos organisations sont permanentes, et nous souffrons lorsque nous devons les adapter, les modifier, les quitter (Weick 2012).

Dans le permanagement ce n’est pas la performance qui est le but ultime mais c’est l’harmonie. La performance, la structure, les processus, l’image, ne sont là que pour favoriser l’harmonie entre des femmes et des hommes qui souhaitent se coordonner dans le travail. On ne met pas l’accent sur une organisation réifiée, mais sur le verbe s’organiser(Weick et al. 2005). Une entreprise est un processus, une transformation, le résultat des efforts combinés, une flamme. C’est plus un verbe, une action en train de se faire (une entreprise), qu’un substantif, un objet. Nous préférons participer à une entreprise plutôt que de travailler dans une boîte. Entreprendre, c’est prendre ensemble.

Lutter dans la Guerre économique => C) Echanger dans la Paix Economique

Le troisième changement de paradigme concerne le mythe de la compétition. En Occident et dans une grande partie de l’Orient, les guerres chaudes, armées contre armées, ont à peu près disparu. Mais elles ont été remplacées par un climat perpétuel de guerre économique(Colin 2012). Chaque année, ces guerres font des milliers de morts, morts de stress, de maladies chroniques, de pollution, de dépressions. Cette lutte incessante se propage à tous les niveaux. C’est la compétition entre les États-nations, entre les économies, entre les continents, les cultures, les sexes, les entreprises, les employés, les équipes de sports, les partis, les pour et les contre. Nous créons systématiquement 2 camps, 2 antagonismes, une dualité, attachés que nous sommes au mythe de la compétition (Kohn 1986). Mais tôt ou tard, la compétition mène à la violence. Et en attendant, il n’y a presque pas de discours sur un possible après-guerre.

Le permanagement veut porter un discours de paix économique (Duymedjian & Huissoud 2012). L’activité collective n’a pas comme objectif d’être en lutte et de gagner le combat contre les autres. Son horizon est de créer, d’échanger et de partager des ressources, des connaissances, de la nourriture, des jeux, des loisirs, pour le plus grand nombre, et en respectant la place de chacune et de chacun, animaux et écosystèmes y compris. Nous parlons volontairement d’échanger parce que l’échange commence souvent par le don et que le don est à la base de toutes les sociétés humaines (MAUSS n.d.; Alter 2009).

Exploiter des ressources naturelles => D) Prendre soin de Terre-Mère

Le quatrième changement de paradigme que nous proposons concerne notre relation au monde. Dans une vision traditionnelle dualiste, le monde et en particulier le monde naturel, apparaît comme un décor pour l’activité humaine (au mieux) ou une possession de l’homme (au pire). Il y a une séparation, une grande fracture, entre l’homme et la nature(Oelschlaeger 2007; Goldman & Schurman 2000). Dans les racines du management, né au 19ème, dans une période ou la terre semblait infinie, philosophiquement encore plate, la nature est un stock de ressources naturelles que l’on peut exploiter et transformer.

Dans le permanagement, nous comprenons que les êtres humains sont une partie de la nature. Nous sommes de la poussière d’étoiles, mais bien plus encore nous sommes la poussière de la planète Terre : nous en venons et nous y retournons. Un être vivant n’est que l’expression temporaire d’une possibilité de la planète. Dans nos actions collectives, lorsqu’elles sont faites avec cette conscience-là, notre plus belle motivation est de prendre soin de notre Terre-mère, c’est à dire de prendre soin de nous-mêmes, et de nos enfants(Rabhi 2012; Latour 2013).

Au final, le permanagement c’est d’aller à la rencontre d’êtres vivants pour s’organiser en harmonie afin d’échanger dans la paix économique en prenant soin de la terre mère.

La suite ?

Dans notre schéma, et pour insister sur notre ontologie non dualiste, les quatre cercles se chevauchent, et désignent d’autres territoires. Dans un prochain article, nous reviendrons sur ce qui se joue sur ces intersections, qui suggèrent d’autres retournements de postures, d’autres remises en cause des principes canoniques d’un monde managé :

  • Libre, vient adoucir le contrôle
  • Equitable, vient assouplir la compétition
  • Durable, vient remplace l’accaparation
  • Responsable, vient questionner la consommation

(A suivre)

Vous pouvez citer cet article en utilsant ce DOI10.13140/RG.2.2.12850.50889

Vous pouvez réutiliser le Schéma librement, c’est un Commun en Creative Commons

Article publié initialement ici : https://www.linkedin.com/pulse/le-permanagement-guillaume-p%C3%A9rocheau/

Bibliographie :

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Batson, C.D., 2011. Altruism in Humans, Available at: https://books.google.fr/books/about/Altruism_in_Humans.html?id=b4fJWzJRnPkC&pgis=1 [Accessed April 27, 2016].

Besel, R.D., 2011. Opening the “Black Box” of Climate Change Science: Actor-Network Theory and Rhetorical Practice in Scientific Controversies. Southern Communication Journal, 76(2), pp.120–136. Available at: http://dx.doi.org/10.1080/10417941003642403%5Cnhttp://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10417941003642403#.VS5rApNEKdl.

Böckler, A., Tusche, A. & Singer, T., 2016. The Structure of Human Prosociality. Social Psychological and Personality Science, 7(6), pp.530–541. Available at: http://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1948550616639650 [Accessed December 18, 2017].

Colin, A., 2012. Aux sources de la guerre économique : fondements historiques et philosophiques

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MAUSS, M., ESSAI SUR LE DON FORME ET RAISON DE L’ÉCHANGE DANS LES SOCIÉTÉS ARCHAÏQUÈS. L’Année sociologique (1896/1897-1924/1925), pp.30–186. Available at: http://www.jstor.org/stable/27883721 [Accessed January 22, 2018].

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Ricard, M., 2013. Plaidoyer pour l’altruisme – La force de la bienveillance NiL., Paris.

Singer, T., Ricard, M. & Bstan-ʼdzin-rgya-mtsho, D.L.X., Caring economics : conversations on altruism and compassion, between scientists, economists, and the Dalai Lama,

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Steffen, W., Crutzen, P.J. & McNeill, J.R., 2007. The Anthropocene: Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature. AMBIO: A Journal of the Human Environment, 36(8), pp.614–621. Available at: http://dx.doi.org/10.1579/0044-7447(2007)36[614:TAAHNO]2.0.CO;2 [Accessed September 23, 2015].

Weick, K.E. ed., 2012. Making Sense of the Organization Volume 2, Hoboken, NJ, USA: John Wiley & Sons, Inc. Available at: http://doi.wiley.com/10.1002/9781119206453 [Accessed January 22, 2018].

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Zimmerer, K.S., 2001. Ecological Imperialism. International Encyclopedia of the Social & Behavioral Sciences, pp.4026–4027.

Dates des prochains « formalab » permaéconomie

Avec ma nouvelle structure, Pikaia, nous organiserons en 2018 trois nouvelles sessions de formalab Permaéconomie.

Sur un format de 3 jours, ces ateliers de formations / laboratoires seront appliqués à la conception de modèles économiques ou de modes de productions innovants et durables ainsi qu’au management des organisation. Il vous permettront de bonifier vos projets, ou d’en faciliter la maturation, en prenant appui sur les fondamentaux éthiques et les principes de conception de la permaculture.

Programme

Jour 1

Constitution du groupe d’apprentissage, partage des aspirations individuelles, découvertes

  • Ateliers : Etat des lieux de nos modèles agricoles, économiques et managériaux
  • Compléments et apports théoriques
  • Présentation des 12 principes de la Permaculture selon Holmgren et Mollison et exploration de leurs applications – atelier et partage de savoirs

Jour 2

Exploration, partages d’expériences et mise en pratique

  • Les 12 principes de la Permaculture : exploration de leur application dans le champ de l’économie, de du management et des systèmes de production – atelier et partage de savoirs
  • Partage d’expériences et retours sur des cas concrets
  • Apports théoriques sur la thermodynamique, le biomimétisme, l’économie circulaire et les organisations agiles
  • Lancement des ateliers du 3ème jour : choix des sujets et constitution des groupes

Jour 3

Approfondissement, appropriation, contextualisation

  • Ateliers : Mise en application des principes de la permaculture à vos projets et actions
  • Partages, compléments et mise en perspective pour application dans vos contextes professionnels

Dates :

  • Les 23/24/25 mai à Paris
  • Les 9/10/11 juillet à Marseille
  • Les 19/20/21 septembre à Toulouse

Tarif : 1.250 € (Net de Taxes) par personne pour les 3 jours (hors repas et hébergement).
Tarif dégressif si plus de 3 inscrits de la même structure.
Possibilité de conventionnement pour prise en charge par les OPCA.

Pour vous pré-inscrire, veuillez compléter le formulaire en ligne suivant :
https://fr.surveymonkey.com/r/XCL7TBV
(Votre inscription ne sera effective qu’à réception de la convention ou du contrat signé)

Pour tout autre renseignement : emmanuel.delannoy[arobase]permaeconomie.fr

A ajouter à votre liste de lecture : « L’économie symbiotique » et « Écologie intégrale »

Le hasard du calendrier (mais est-ce vraiment un hasard) a fait que deux livres  proches et très complémentaires sont sortis en librairie ce 4 octobre :

  • « L’économie symbiotique », de Isabelle Delannoy, propose une nouvelle vision de l’économie, dans laquelle il devient possible de faire vivre en harmonie les êtres humains et les écosystèmes. Ce modèle, dont il a déjà été question ici, ouvre la voie vers une économie régénérative, à externalité positive.
    A noter que « L’économie symbiotique » est préfacée par Dominique Bourg, auteur de l’autre livre dont il est question ici.
  • « Ecologie Intégrale », de Dominique Bourg et Christian Arnsperger, sous titré « Pour une société permacirculaire », explore plusieurs pistes possibles pour une économie compatible avec cette exigence : celle d’une empreinte écologique décroissante pour nous permettre de retourner puis de rester à l’intérieur des limites de la biosphère, sans renoncer à notre modernité, en œuvrant en faveur d’une priorité environnementale enfin claire et, à terme, libératrice.

Rendez-vous chez votre libraire de quartier où vous pourrez vous procurer ces deux ouvrages essentiels, et aussi commander, si vous ne l’avez pas déjà fait, « Permaéconomie », aux éditions WildProject.

Quand Usbek & Rica parlent de permaéconomie

A l’occasion du salon « Biomim’Expo« , qui c’est tenu au CEEBIOS, à Senlis, les 29 et 30 juin, j’ai été interviewé par Vincent Lucchese, du magazine « Usbek & Rica ». On y parle d’effondrement, de décroissance, mais aussi et surtout d’innovation sociales, de coopération, d’exaptation et, bien sûr, d’économie écologique.

C’est à lire ici :

https://usbeketrica.com/article/le-cout-humain-de-l-effondrement-sera-dramatique

 

 

Biomim’expo 2, 29 et 30 juin 2017

Je serais présent, avec l’institut INSPIRE et plusieurs de nos sociétaires, à Biomim’expo, le grand rendez-vous annuel de l’innovation inspirée par la nature. J’y parlerai de permaéconomie, bien sûr, mais aussi d’innovation agile, de cette éthique de l’interaction sur laquelle la permaéconomie s’appuie, et d’une économie circulaire coopérative, reliée au vivant.
L’institut INSPIRE et le Pôle Ecodesign y présenterons la Marcotte et d’autres réalisations. Et attendez-vous à être surpris : on vous réserve quelques annonces !

Pour tout savoir, pour s’inscrire, c’est là !

La vie et les lois de la thermodynamique

Par François Roddier, astrophysicien, spécialiste de la thermodynamique
www.francois-roddier.fr

Résumé : Du point de vue dʼun physicien, la vie apparait aujourdʼhui comme un processus naturel de dissipation dʼénergie. Le second principe de la thermodynamique nous apprend quʼon ne peut dissiper durablement de lʼénergie quʼen effectuant des cycles de transformations extrayant de la chaleur dʼune source chaude pour en rendre une partie à une source froide. Cʼest ce que fait effectivement la nature, grâce au Soleil et au ciel nocturne. Toute autre forme dʼénergie est exclue. Lʼhumanité prend peu à peu conscience quʼà long terme son existence est assujettie aux lois de la thermodynamique. Ce sont elles qui nous conduisent au biomimétisme, comme à lʼéconomie circulaire ou de fonctionnalité. Elles nous amèneront peu à peu à reconsidérer le rôle de la monnaie et à repenser la société.

Deux siècles de croissance exceptionnelle.

Grâce au développement de lʼimprimerie, nos connaissances ont pu sʼaccumuler jusquʼau siècle des lumières où elles ont provoqué une explosion démographique. Celle-ci a pris naissance en Europe et sʼest étendue rapidement à tous les pays du monde. Lʼanglais Thomas Malthus (1) fut un des premiers à sʼen inquiéter. Il tira le signal dʼalarme: nous ne pourrons pas, dit-il, nourrir tout le monde. Ses prévisions se sont avérées erronées. À lʼépoque de Malthus, la population mondiale atteignait un milliard dʼindividus. Elle a atteint deux milliards en 1930, quatre milliards en 1975, près de 7 milliards en 2010. Un tel accroissement est sans précédent dans toute lʼhistoire de lʼhumanité. Que sʼest-il passé?

Avant dʼen donner une explication, constatons que cette explosion nʼest pas sans conséquences. Lʼune dʼentre elles est la perte de biodiversité. Dès les années 70, les biologistes sʼinquiètent. Le taux dʼextinction des espèces animales et végétales est aujourdʼhui estimé être plus de cent fois supérieur au taux normal dʼextinction avant lʼintervention de lʼHomme. Or les espèces sont interdépendantes les unes des autres. La perte dʼune seule espèce comme celle des abeilles entraînerait une baisse du taux de pollinisation dont les conséquences pourraient être catastrophiques.

Une autre conséquence dont on prend maintenant conscience est le réchauffement climatique. On lʼattribue à la concentration de dioxyde de carbone dans lʼair. Celle-ci excède actuellement dʼun facteur deux lʼamplitude

maximale des fluctuations observées depuis des centaines de milliers dʼannées. Elle est clairement liée à lʼutilisation dʼénergies fossiles. Si cette concentration continue à croître, nos glaciers vont fondre, nos réserves dʼeau potable vont disparaître et nos sols vont devenir désertiques.

Enfin nos ressources naturelles sʼépuisent. On le constate pour nos ressources en pétrole, mais cʼest vrai aussi de nos ressources en charbon et de la plupart de nos ressources en métaux. Or ces ressources ne sont pas renouvelables. Lʼhumanité va devoir apprendre à sʼen passer. Pour certains, les plus optimistes, on trouvera autre chose, par exemple la fusion nucléaire. Dʼautres, plus réalistes, se rendent compte que la plupart des civilisations passées se sont un jour effondrées. Dʼautres civilisations les ont remplacées. Pour eux, on sʼacheminerait vers un nouvel effondrement, semblable à celui de lʼempire romain (2). Dʼautres enfin pensent que cʼest bientôt la fin de lʼespèce humaine. Voici ce quʼen a dit lʼastronome anglais Fred Hoyle :

« Il a souvent été dit que, si lʼespèce humaine échoue sur Terre, une autre espèce la remplacera. En ce qui concerne le développement de lʼintelligence, cʼest faux. Nous avons ou nous aurons bientôt épuisé tout ce qui sur cette planète est physiquement nécessaire pour cela. Sans charbon, sans pétrole, sans minerai de qualité, aucune espèce, aussi compétente soit-elle, ne pourra plus à partir de conditions primitives accéder à une technologie avancée. Lʼoccasion est unique. Si nous échouons, cʼest un échec pour lʼintelligence dans ce système planétaire. Il en est de même pour les autres systèmes planétaires. Pour chacun dʼeux il y aura une occasion et une seule » (3).

Il est clair quʼon assiste aujourdʼhui à la fin dʼune période unique dans lʼhistoire de lʼhumanité, durant laquelle celle-ci prend peu à peu conscience des conditions nécessaires au maintien de son existence. Elle va devoir sʼorganiser et mettre en œuvre des pratiques conformes à ces conditions. Ce sont elles que je me propose dʼexaminer ici avec quelques détails.

La vie et la dissipation de lʼénergie.

Les équations fondamentales de la physique (mécanique, électromagnétisme) sont invariantes par changement de signe du temps. On dit quʼelles sont réversibles. Seule la dissipation dʼénergie en chaleur est irréversible.

Les êtres vivants naissent, vieillissent et meurent. Leur évolution est irréversible. On sait aujourdʼhui quʼil en est de même des montagnes et même des étoiles. Ce sont donc des processus de dissipation dʼénergie.

Einstein pensait encore que lʼunivers était immuable jusquʼau jour où on sʼest aperçu quʼil était en expansion. On sait maintenant que lʼunivers observable a eu un début, communément appelé le « Big Bang » et aura une fin. Il apparaît lui-même comme un processus de dissipation dʼénergie. Il est formé de structures qui ne subsistent que si elles sont constamment alimentées par un flux dʼénergie qui les traverse. Le physico-chimiste Ilya Prigogine (4) leur a donné le nom de « structures dissipatives ».

Toutes ont la propriété remarquable de sʼorganiser par elles-mêmes. On dit quʼelles sʼauto-organisent. Les physiciens sʼaccordent aujourdʼhui pour dire quʼelles sʼauto-organisent pour maximiser le taux de dissipation de lʼénergie. Ce fait est maintenant établi pour lʼatmosphère terrestre et celle dʼautres planètes comme Mars ou Titan. Il serait général (5).

Ainsi la vie serait apparue sur Terre pour dissiper lʼénergie solaire. Dès 1905, le physicien autrichien Ludwig Boltzmann écrivait que la lutte pour la vie est une lutte pour dissiper lʼénergie (6). En 1922, le statisticien américain Alfred Lotka constatait que la sélection naturelle de Darwin tend à maximiser le flux dʼénergie qui traverse les organismes vivants. Il suggérait lʼexistence dʼune troisième loi de la thermodynamique (7). Enfin, en 1926, le physico-chimiste anglais Frederick Soddy estimait que le bien-être des individus se mesure en termes dʼénergie dissipée dans la société (8). Les lois de la thermodynamique seraient-elles la clé de lʼévolution?

La thermodynamique est la science qui étudie les échanges entre lʼénergie mécanique et la chaleur. Elle a été historiquement fondée sur deux lois ou principes. Le premier principe énonce que lʼénergie ne peut ni se perdre ni se créer. On dit quʼelle se conserve ou quʼelle est un invariant. La chaleur est une forme particulière dʼénergie. Le physicien anglais James Prescott Joule (1818-1889) fut le premier a établir lʼéquivalent mécanique de la calo- rie, unité de mesure de la chaleur.

Le second principe de la thermodynamique est dû au physicien français Sadi Carnot (1796-1832). Il concerne la production dʼénergie mécanique à partir de chaleur. Alors que lʼénergie mécanique peut être intégralement transformée (on dit aussi dissipée) en chaleur, seule une partie de la chaleur peut être transformée en énergie mécanique. On peut énoncer le second principe sous la forme suivante qui nous sera utile pour la suite de cet article:

On ne peut durablement produire du travail mécanique que par des cycles de transformations extrayant de la chaleur dʼune source chaude pour en rendre partie à une source froide. Seule une fraction de la chaleur (appelée rendement de Carnot) peut être convertie en énergie mécanique. Cette fraction est proportionnelle à la différence de température entre les deux sources. Cela explique pourquoi la dissipation dʼénergie est irréversible. Sʼil est facile de dissiper lʼénergie en chaleur, lʼopération inverse est plus difficile et ne peut être que partielle.

Le second principe de la thermodynamique vient des réflexions de Carnot sur la puissance motrice du feu (9). Il sʼapplique tout naturellement à la machine à vapeur. Si la vapeur dʼeau peut facilement fournir de lʼénergie mécanique en poussant sur un piston, elle ne peut le faire durablement quʼà condition de ramener le piston à sa position initiale et de recommencer lʼopération autant de fois quʼil est nécessaire.

Le second principe de la thermodynamique est un principe fondamental. Il sʼapplique aussi bien aux machines à vapeur ou aux moteurs à explosion quʼaux cyclones ou à la vie. Comme leur nom lʼindique, les cyclones décri- vent des cycles qui leur permettent de produire de lʼénergie mécanique en extrayant de la chaleur du sol pour en rendre à lʼatmosphère plus froide si- tuée au dessus. Quʼen est-il de la vie?

Lʼauto-organisation du vivant.

Du point de vue thermodynamique, la vie apparaît comme une structure dissipative. Nous avons vu que les structures dissipatives ont la propriété de sʼauto-organiser par elles mêmes. Cʼest ce que fait par exemple un cris- tal de neige. On appelle ce processus une transition de phase (10). Les structures dissipatives sʼauto-organisent suivant un processus similaire au- quel le physicien danois Per Bak (11) a donné le nom de « criticalité auto- organisée ».

Une caractéristique de ce processus est de créer des avalanches. Per Bak le compare au processus de formation des avalanches dans un tas de sable. Lorsque on verse du sable de façon à former un tas, la pente du tas de sable augmente et atteint une valeur ou point critique à partir de laquelle des avalanches se forment. Une propriété de ces avalanches est que leur amplitude varie en raison inverse de leur fréquence. Il y a beaucoup de petites avalanches, de temps en temps de plus grosses, exceptionnellement une énorme avalanche.

La vie sʼest développée sur Terre suivant un processus du même type. Plantes et animaux se multiplient exponentiellement, créant des avalanches. Les très grosses avalanches sont souvent qualifiées dʼexplosion. Cʼest le cas notamment de lʼexplosion cambrienne, il y a 545 millions dʼan- nées, qui a donné naissance à un très grand nombre dʼespèces nouvelles, accroissant considérablement la dissipation de lʼénergie due à la vie dans les océans.

Le phénomène opposé est qualifié dʼextinction de masse. Un très grand nombre dʼespèces animales ou végétales disparaissent à la même époque. On a recensé cinq grandes extinctions de masse au cours de lʼévolution. Lʼalternance entre des périodes dʼapparitions dʼespèces nouvelles et dʼautres dʼextinctions est une caractéristique du processus de criticalité auto- organisée. Ces oscillations sont en partie corrélées avec les fluctuations climatiques, les périodes de glaciation étant souvent accompagnées ou suivies dʼextinctions.

On peut comparer la vie a un incendie de forêt qui est lui aussi un processus de criticalité auto-organisée. Instinctivement, les biologistes utilisent le même vocabulaire (explosions, extinctions). Comme la vie animale, le feu est un processus dʼoxydation du carbone, mais beaucoup plus brutal et à plus haute température. Semblable à la vie, le feu « couve », puis il prend, sʼétend rapidement et couve à nouveau, jusquʼà parfois sʼéteindre de lui- même. Comme les extinctions dʼespèces, les incendies de forêts permettent à la végétation de se renouveler et de sʼadapter aux évolutions du climat.

Une brève description de lʼévolution.

La Terre sʼest formée peu après le Soleil, il y a 4,5 milliards dʼannée. La vie serait apparue dès la formation des océans, il y a environ 4 milliards dʼan- nées. Phénomène de criticalité auto-organisée, la vie pourrait être apparue au point critique de lʼeau, vers 3.000 m de profondeur et à une température de 374° C, conditions quʼon trouve dans les sources géothermales. A lʼappui de cette hypothèse viennent les propriétés catalytiques exceptionnelles des micro-gouttes dʼeau, observées à lʼopalescence critique, propriétés dues à leur très grand rapport surface/volume. La source dʼénergie aurait alors été dʼorigine géothermique. Dʼabord très lente, la progression de la vie nʼaurait alors cessé de sʼaccélérer (12).

Les premières bactéries captant lʼénergie solaire auraient pris naissance entre 3 et 4 milliards dʼannées. Elles se sont multipliées sous forme dʼalgues bleues dans les stromatolithes. Les volcans ayant rempli lʼatmosphère de dioxyde de carbone, ces algues ont utilisé lʼénergie solaire pour réduire le dioxyde de carbone sous forme de matière organique et libérer lʼoxygène. Pendant ce temps, dʼautres utilisaient lʼoxygène ainsi libéré pour brûler leurs déchets organiques et régénérer le dioxyde de carbone. En recyclant ses déchets, la nature pouvait alors dissiper durablement lʼénergie solaire, comme le veut le second principe de la thermodynamique.

Il y a environ 1,5 milliards dʼannées sont apparues les premières cellules à noyau puis, vers 800 millions dʼannées, les premiers organismes multicellulaires, notamment ceux qui forment aujourdʼhui le phytoplancton. Absorbant efficacement le dioxyde de carbone, celui-ci crée les premières périodes glaciaires. Apparaît ensuite le zooplancton qui régénère le dioxyde de carbone. La dissipation dʼénergie sʼaccélère. La mer étant saturée dʼoxygène, cʼest dʼun seul coup lʼexplosion, celle du Cambrien, il y a 545 millions dʼan- nées. Apparaît alors une immense variété génétique dʼorganismes multicellulaires de toutes sortes.

Les plantes continuent à produire de lʼoxygène, mais il est converti en dioxyde de carbone par les animaux. Au lieu de se dégager dans lʼatmosphère, le dioxyde de carbone est piégé sous forme de calcaire dans les coquillages. La nature va devoir affronter un nouveau problème de pollution. Le fond de la mer se couvre de déchets organiques et de dépôts calcaires. Lʼair étant privé de dioxyde de carbone, le climat se refroidit créant de nouvelles glaciations. Celles-ci provoquent une suite dʼextinctions majeures, notamment à la fin du permien, il y a 250 millions dʼannées.

La vie se développe alors sur Terre et le climat se réchauffe. De nouvelles espèces apparaissent comme les dinosaures. Ceux-ci sont particulière- ment aptes à dissiper lʼénergie. Mais plus une espèce dissipe dʼénergie, plus elle modifie son environnement. La température baisse à nouveau. Les dinosaures ont du mal à sʼadapter. Un astéroïde finit par les éliminer. Cʼest maintenant le règne des oiseaux et des mammifères. Ces derniers donnent naissance aux hominidés. Leur cerveau se développe. On assiste alors à un changement majeur. De génétique, lʼévolution devient culturelle (13). Tout sʼaccélère de nouveau.

Il y a à peine plus de deux siècles, lʼespèce Homo Sapiens découvre les carburants fossiles. Comme les bactéries lʼavaient fait, il y a plus de 3 mil- liards dʼannées, lʼHomme moderne se procure de lʼénergie en brûlant des déchets organiques. Lʼironie du sort veut que lui, qui rechigne à recycler ses propres déchets, se mette à recycler ceux des époques géologiques antérieures. Et cʼest une nouvelle explosion, non plus génétique, mais démographique et culturelle.

En deux siècles, lʼHomme a épuisé tout ce qui était facilement épuisable. Cette fois, le résultat est lʼopposé de celui des époques précédentes. En absorbant le dioxyde de carbone, lʼexplosion cambrienne avait provoqué une glaciation. En générant du dioxyde de carbone, lʼexplosion démographique provoque un réchauffement. Dans les deux cas, il sʼagit dʼun changement climatique. Lʼévolution passée de la vie nous éclaire sur son évolution future. On imagine maintenant ce qui va se passer.

Lʼévolution de lʼhumanité.

Lʼexplosion cambrienne a été suivie dʼune suite dʼextinctions dʼespèces. On peut sʼattendre à ce que lʼexplosion démographique de lʼhumanité ait des effets similaires. On parle déjà dʼune sixième extinction dʼespèces. Elle nʼa aucune raison de se limiter aux animaux. LʼHomme lui-même est menacé. Un effondrement démographique parait inévitable.

Nous avons vu que la vie est une immense machine thermique. On peut lʼimaginer comme un moteur à deux temps. Dans un premier temps, la vie est en contact avec sa source chaude, le Soleil. Les plantes emmagasinent lʼénergie solaire sous forme de biomasse. Dans un deuxième temps, les animaux brûlent la biomasse et envoient la chaleur vers sa source froide, le ciel nocturne. On assiste aujourdʼhui à la fin dʼun deuxième temps ramenant la machine à son état initial.

LʼHomme a recyclé les déchets organiques des époques antérieures. Il a fait ce que la nature attendait de lui. La vie peut maintenant repartir à zéro, ou presque. On sait comment la vie est partie, sous une forme végétale: le phytoplancton. La vie va donc repartir grâce au phytoplancton et à lʼénergie solaire. Cʼest lui qui va absorber le dioxyde de carbone généré par nos avions et nos voitures, mais cela prendra nécessairement du temps. La sélection naturelle a jusquʼici favorisé lʼHomme parce quʼil dissipait plus dʼénergie que les autres espèces. Mais plus une espèce dissipe dʼénergie, plus vite elle fait évoluer son environnement. Lorsquʼune espèce nʼest plus adaptée, elle sʼéteint. On peut donc sʼinquiéter avec juste raison dʼune disparition possible de lʼespèce humaine. Je rassure ici le lecteur en expliquant pourquoi cela ne sera sans doute pas le cas.

Les structures dissipatives évoluent en mémorisant de lʼinformation. Plus elles mémorisent dʼinformation plus elles dissipent dʼénergie. La vie a accru sa dissipation dʼénergie en mémorisant de plus en plus dʼinformation. Jus- quʼà récemment, elle lʼa fait en mémorisant lʼinformation dans les gènes. LʼHomme est le premier animal qui mémorise plus dʼinformation dans son cerveau que dans ses gènes. Les sociétés humaines ont accru sa dissipation dʼénergie grâce à lʼécriture, puis aux livres et maintenant aux ordinateurs. Aujourdʼhui, lʼévolution nʼest plus génétique mais culturelle (13). Si une extinction dʼespèce est un changement de génome, un effondrement de civilisation est un changement de culture, cʼest-à-dire un changement de conception du monde.

Si lʼeffondrement démographique parait inévitable, lʼHomme en tant quʼespèce —cʼest-à-dire son génome— va sans doute subsister, mais sa vision du monde va en être profondément transformée. Grâce au réchauffement climatique, lʼHomme va prendre conscience que son évolution suit des lois quʼil ne saurait ignorer, les lois de la thermodynamique. Jusquʼici, il a été le bienvenu pour recycler les déchets organiques des époques antérieures. Maintenant, cʼest aux plantes de prendre le relais. De maître, lʼHomme va devenir leur serviteur, comme un chien obéit à son maître parce quʼil sait que cʼest lui qui le nourrit.

Cʼest en effet dans le domaine de lʼagriculture que la prise de conscience a commencé, avec lʼagriculture biologique. Aujourdʼhui on développe lʼagrobiologie, notamment des techniques dites de permaculture, plus respectueuses de lʼenvironnement. Généreuse, la nature va faire de lʼHomme son disciple. Les disciples progressent en imitant leur maître. Les ingénieurs parlent aujourdʼhui de biomimétisme.

Cependant, les financiers veulent toujours rester les maîtres. Ils pensent pouvoir modifier à leur guise les génomes et breveter le vivant sans se soucier des conséquences. Un changement de représentation est indispensable. Il sʼagit dʼune transition culturelle majeure. Elle risque de de- mander du temps, et plus on attend, plus la transition sera douloureuse.

La transition économique.

Pour comprendre la suite des événements, il faut donc sʼappuyer sur les lois de la thermodynamique. On vient de traverser une période durant la- quelle la dissipation de lʼénergie a été dominée par les combustibles fossiles. Avec lʼépuisement progressif de ces ressources, lʼHomme cherche désespérément de nouvelles sources dʼénergies capables de maintenir son niveau de vie.

Il a cru un moment que la fission nucléaire pourrait prendre le relais. Il réa- lise aujourdʼhui que tout développement durable nécessite un recyclage des déchets, et que recycler les déchets de la fission prend des millions dʼannées. Nos usines nucléaires nʼauront pas duré un demi siècle. Saisis par la même illusion, certains pensent aujourdʼhui que la fusion nucléaire sera la solution. Des milliards dʼEuros sont dépensés pour une usine appelée ITER dont la durée de vie est estimée à 400 heures, après quoi il faudra la démanteler et la recycler.

Clairement, il faudra du temps pour que lʼHomme réalise quʼil doit son existence à une usine à fusion nucléaire, le Soleil, qui ne produit aucun déchet sur Terre et qui est capable de fonctionner encore pendant quelques mil- liards dʼannées. Son seul défaut est dʼêtre à débit limité, mais cʼest précisément ce qui fait sa qualité. Nous avons vu que la vie est un incendie et que, lorsque le débit nʼest plus limité, cʼest lʼexplosion, comme celle que nous venons de traverser. Il nʼy aura pas de développement durable possible sans énergie solaire.

On peut définir une notion de « température » pour lʼéconomie, comme étant lʼinverse du coût de lʼénergie (14). Plus le coût de lʼénergie augmente, plus la « température » de lʼéconomie décroît. Avec la raréfaction de nos ressources en pétrole, le coût de lʼénergie va inévitablement augmenter et la température de nos économies décroître. Nous avons vu que lʼauto-organisation des sociétés humaines est un processus de transition de phase. Lorsque la « température » de lʼéconomie descend au dessous dʼun certain point critique, lʼorganisation de la société change comme celle de la matière au cours dʼune transition de phase. Une transition économique est un processus de transition de phase (15).

Processus de criticalité auto-organisée, la vie oscille entre deux types de sélections naturelles appelées r et K. Lorsque la nourriture est abondante, la sélection r domine, favorisant la compétition entre une grande diversité de petits organismes évoluant rapidement. Lorsque la nourriture se fait plus rare, la sélection K prend le relais, favorisant la formation de gros organismes évoluant plus lentement. La vie a ainsi créé des structures de plus en plus organisées comme les colonies de bactéries, puis les amibes, les colonies dʼamibes et enfin les organismes multicellulaires.

Nous proposons ici lʼhypothèse que les sociétés humaines vont évoluer de la même façon. La transition économique sera une transition de phase durant laquelle nos sociétés passeront du type dʼorganisation actuel, semblable à celui dʼun écosystème, à un type dʼorganisation comparable à celui dʼun organisme multicellulaire.

Vers une réorganisation de la société.

Avec la recherche dʼun développement durable, lʼidée se répand de sʼinspirer davantage de la vie. Jʼai parlé du biomimétisme. Depuis longtemps, les ingénieurs se sont inspirés des formes et ont copié les procédés de fabrication créés par la nature. On peut aussi sʼintéresser à la façon dont la nature sʼorganise. Lʼœuvre du physicien Per Bak est une source dʼinspiration sur ce sujet (11).

Lʼidée de sʼinspirer de la biologie pour lʼorganisation des sociétés humaines nʼest pas nouvelle. Chacun sait que le libéralisme anglo-saxon a été inspiré par les travaux de Darwin. Il a permis une croissance économique exceptionnelle, mais a créé de terribles inégalités sociales (16) et a épuisé nos ressources naturelles. Aurait-on mal compris les leçons de Darwin? On oublie quʼelles sʼappuient sur lʼétude des écosystèmes, une forme particulière dʼorganisation du vivant. Celle-ci nʼest pas la seule. Les organismes multi- cellulaires ont une forme dʼorganisation différente.

Les deux types dʼorganisation sont conformes aux lois de la thermodynamique : chacune dʼentre elles effectue des cycles fermés de transformations. En termes de développement durable, les deux effectuent des échanges suivant les règles de lʼéconomie circulaire. Cependant, si la nature favorise la compétition entre les organismes, à lʼintérieur dʼun même organisme, elle favorise la coopération entre les cellules. La raison en est que compétition et coopération favorisent toutes les deux la dissipation de lʼénergie mais de façon différente.

Comme nous lʼavons vu, lorsque lʼénergie est abondante, la nature crée la compétition entre un grand nombre de petits organismes, favorisant lʼinnovation (sélection r). Lorsque lʼénergie se fait rare, la nature tend à préserver son taux de dissipation dʼénergie. Pour éviter le gaspillage, elle favorise les organismes qui dissipent lʼénergie le plus efficacement possible, cʼest-à- dire les plus gros (sélection K).

Lʼauto-organisation des systèmes vivants est entièrement déterminée par les échanges dʼinformation à lʼintérieur du système (17). Dans le cas des écosystèmes, lʼinformation se limite essentiellement à la probabilité de manger ou dʼêtre mangé par lʼautre. Elle suffit cependant à auto-organiser le système. Les organismes multicellulaires ont une organisation beaucoup plus complexe parce que la quantité dʼinformation échangée entre les cellules est beaucoup plus importante.

Depuis leur apparition, la quantité dʼinformation échangée entre les êtres humains nʼa cessé dʼaugmenter, dʼabord avec la parole, puis lʼécriture et ensuite lʼimprimerie. Aujourdʼhui elle ne cesse de croître grâce aux nouvel- les technologies de lʼinformation et de la communication (NTIC). Le modèle des écosystèmes ne convient plus aux sociétés humaines. Celui des organismes multicellulaires est devenu plus approprié.

Un nouveau modèle économique.

Jʼai dit plus haut que lʼévolution de lʼHomme nʼest plus de nature génétique mais culturelle. Dans une société humaine, la culture joue aujourdʼhui le rôle de lʼADN (réf. 13, section 13.2). Lʼéconomie joue celui du métabolisme. Formellement, la monnaie a les propriétés des catalyseurs, appelés aussi enzymes. Elle accélère la vitesse des échanges, tout en étant régénérée à la fin de chaque cycle. Lorsque les entreprises font des bénéfices, les cycles deviennent autocatalytiques, produisant une croissance exponentielle de lʼéconomie.

Lorsque lʼénergie se fait rare son prix augmente. Les bénéfices diminuent jusquʼau moment où la croissance sʼarrête et la société sʼendette. La
« température » de lʼéconomie a atteint sa valeur critique de transition de phase. La société doit effectuer une transition économique. De même il arrive que, chez les animaux, la nourriture se fasse rare. Cʼest le cas, par exemple, dʼune marmotte à lʼentrée de lʼhiver. Son organisme va passer sur ses réserves et lʼanimal va hiberner. On dit que lʼorganisme de la marmotte change de voie métabolique.

Chez les organismes vivants, chaque voie métabolique correspond à des enzymes différents. Lʼanalogie entre les transitions économiques et les changements de voies métaboliques nous incite à penser quʼune transition économique doit être accompagnée dʼune nouvelle monnaie. Des considérations thermodynamiques montrent quʼeffectivement, une économie ne peut pas fonctionner durablement avec une seule monnaie (15). Des économistes comme Bernard Lietaer en sont depuis longtemps persuadés (18).

Le problème se pose actuellement pour lʼEurope qui a adopté une monnaie unique lʼEuro. Il faut se rappeler que les institutions européennes sont nées de la communauté européenne du charbon et de lʼacier, une organisation créée en 1951, fondée sur lʼutilisation commune de ressources fossiles, non renouvelables. Avec la diminution de ces ressources, aggravée par la nécessité dʼéviter un réchauffement climatique, une transition économique ou « changement de voie métabolique » sʼavère nécessaire, nous invitant à introduire de nouvelles monnaies.

Nous avons vu que lorsque lʼénergie est abondante, la sélection naturelle tend à accroître le flux dʼénergie dissipée en favorisant la compétition entre les individus qui dissipent le plus dʼénergie (sélection r). Lorsque lʼénergie se fait rare, elle essaye de maintenir le taux de dissipation dʼénergie en favorisant la coopération entre les individus grâce aux échanges dʼinformation (sélection K). On voit ici lʼimportance de lʼinformation dans la dissipation dʼénergie. En économie le PIB tient bien compte de la production des biens matériels, mais rend mal compte des biens immatériels appelés « services » liés aux échanges dʼinformation.

Avec la diminution des ressources fossiles, les services prennent aujourdʼhui de plus en plus dʼimportance, notamment comme source dʼemploi. Il parait ainsi naturel dʼintroduire une monnaie complémentaire liée aux services. En Europe, la plupart des services, tels que la santé ou lʼéducation, sont organisés par les nations et financés par des impôts nationaux. On est donc incité à réintroduire des monnaies nationales pour les services. La plupart des budgets distinguent les frais dʼéquipement des frais de fonctionnement. Il est clair que les premiers concernent des ressources matérielles qui seraient évaluées en Euros, tandis que les seconds concernent des ressources immatérielles ou facilement renouvelables qui seraient évaluées en monnaie nationale.

Le proche avenir de lʼhumanité.

Les impératifs du développement durable conduisent à lʼidée dʼéconomie de fonctionnalité. Celle-ci favorise la délivrance de services par rapport à la propriété de biens matériels car elle permet de diminuer les externalités négatives. Le développement des économies de fonctionnalité favorisera la partie fonctionnement des budgets, établie en monnaie complémentaire, par rapport à la partie équipement établie en monnaie principale. Avec la diminution des ressources minières (secteur primaire), il deviendra de plus en plus difficile de produire des biens matériels (secteur secondaire). Les services (secteur tertiaire) prendront alors de plus en plus dʼimportance. Cʼest effectivement ce quʼon observe dans les pays développés.

Cela signifie que les monnaies complémentaires prendront progressive- ment de la valeur par rapport à la monnaie principale. On le constate déjà avec lʼexemple du franc suisse. En Europe, les budgets nationaux pourront être rééquilibrés grâce à un taux de change approprié entre lʼEuro et les monnaies nationales. Des problèmes comme celui de la Grèce pourront être résolus. Du point de vue thermodynamique, on aura remplacé une transition de phase abrupte par une transition continue (15). Nous nʼéviterons pas un effondrement de la civilisation actuelle, mais il sera progressif au lieu dʼêtre brutal. Comme la marmotte à lʼentrée de lʼhiver, notre économie va peu à peu sʼassoupir.

Jʼai dit que les plantes allaient être appelées à jouer un rôle fondamental en prenant le relais (section 7). La survie de notre espèce passe par une transformation radicale de notre agriculture. Le modèle industriel des années 60 devra nécessairement être remplacé par une agriculture locale, plus diversifiée, plus intensive en main dʼœuvre et plus respectueuse de lʼenvironnement (19). Un effondrement démographique parait inévitable. Lʼagriculture industrielle repose sur des énergies fossiles non renouvelables. Elle relève de la monnaie principale. Passer dʼune agriculture industrielle à une agriculture de type paysanne implique nécessairement le pas- sage dʼune agriculture en monnaie principale à une agriculture en monnaie complémentaire. Là encore, lʼintroduction de nouvelles monnaies nʼévitera pas lʼeffondrement mais le rendra plus progressif.

Notre modèle économique actuel, dit libéral, repose sur la description darwinienne des écosystèmes. Adapté aux périodes dʼabondance énergétique, il maximise la production industrielle. Avec lʼépuisement des ressources fossiles, une transition économique sʼimpose. Le modèle des organismes multicellulaires est devenu plus adapté. Il implique une réorganisation de la société donnant plus dʼimportance aux services, donc aux structures de type étatique.

Le danger de notre modèle économique actuel est que des structures privées prennent le rôle des États. Là encore il existe un analogue en biologie, cʼest celui du cancer. Dans un article scientifique majeur intitulé « The hallmarks of Cancer » (20), deux biologistes ont établi les caractéristiques des cellules cancéreuses. On peut aisément les transposer aux sociétés humaines et montrer quʼelles sʼappliquent entièrement aux sociétés libérales (21). Une de ces caractéristiques est un métabolisme anormal.

De la même manière, le libéralisme sʼest développé grâce à des sources dʼénergie anormales, cʼest-à-dire non utilisées par les autres êtres vivants, comme lʼénergie nucléaire. La vie a tendance à se développer exponentiellement, mais cette croissance est limitée par le taux de renouvellement des ressources énergétiques liées au débit énergétique du soleil. En levant cette limitation, lʼutilisation dʼénergies nouvelles a rendu possible le développement économique très rapide des sociétés libérales actuelles, développement qui a pris peu à peu les caractéristiques des tumeurs cancéreuses. On a vu, toutefois, que ce développement est dû à lʼabsence dʼenzyme spécifique à la nouvelle voie métabolique que sont les énergies renouvelables. Une cure est donc possible pour ce cancer sous la forme de monnaies complémentaires.

Lʼhumanité vient probablement de traverser une période unique de son existence. À partir de conditions primitives elle a pu, grâce aux énergies fossiles, développer des technologies avancées. Le pétrole aura joué le rôle du lait maternel, induisant sa croissance et le développement de son intelligence collective. Cʼest aujourdʼhui le moment du sevrage. Alors de deux choses lʼune. Ou bien elle succombe à son cancer, par exemple à la suite dʼune guerre nucléaire. Alors, comme lʼa dit Fred Hoyle, cʼest la fin du développement de lʼintelligence sur cette planète, et sans doute lʼextinction de lʼespèce humaine. Ou bien elle en guérit, grâce au régime de restriction calorique quʼelle va devoir subir, accompagné des enzymes appropriés que sont les monnaies complémentaires. Alors, son intelligence collective va continuer à évoluer et lʼHomme va enfin prendre conscience des lois fondamentales qui régissent son évolution.

 

Bibliographie

(1) Thomas Robert Malthus (1766-1834) est un pasteur protestant né en Grande Bretagne. Il est lʼauteur dʼun essai sur le principe de population.

(2) Pablo Servigne, Raphaël Stevens. Comment tout peut sʼeffondrer, Seuil (2015).

(3) Fred Hoyle, traduit de « Of Men and Galaxies » (1964), réédité en 2005 par Prometheus Books.

(4) Ilya Prigogine (1917-2003) est un physico-chimiste belge, dʼorigine russe. Il a reçu le prix Nobel de chimie en 1977.

(5) A. Kleidon, R. D. Lorenz, Non-equilibrium Thermodynamics and the Production of Entropy, Springer (2005).

(6) Ludwig Boltzmann, Populare Schriften (Popular Writings). Leipzig: J. A. Barth (1905).

(7) Alfred Lotka, Contribution to the Energetics of Evolution. PNAS 8, 147- 151, et: Natural Selection as a Physical Principle, PNAS 8, 151-154 (1922).

(8) Frederick Soddy, Wealth, Virtual Wealth and Debt, George Allen & Un- win Ltd (1926).

(9) Sadi Carnot, Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les ma- chines propres à développer cette puissance, Bachelier (1824).

(10) Ricard V. Solé, Phase transitions, Princeton (2011).

(11) Per Bak, How Nature Works. The science of self-organized criticality, Springer-Verlag (1996) . Traduit en français sous le titre: « Quand la nature sʼorganise: avalanches et tremblements de terre ». Flammarion (1999).

(12) Eric Chaisson, Cosmic Evolution: The Rise of Complexity in Nature, Harvard (2002).

(13) François Roddier, Thermodynamique de lʼévolution, éd. Parole (2012).

(14) François Roddier, De la nécessité dʼune décroissance, dans: Écono- mie de lʼaprès-croissance. Politiques de lʼAnthropocène II, sous la direction dʼAgnès Sinaï. éd.: les presses de SciencesPo (2015).

(15) François Roddier, La thermodynamique des transitions économiques. Conférence donnée à Paris le 12 mars 2015 pour le Shift Project: https://www.youtube.com/watch?v=5-qap1cQhGA. Texte publié dans Res Systemica: (http://www.res-systemica.org/afscet/resSystemica/vol14-oct2015 /Res-Systemica-vol14.html).

(16) Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil (2014).

(17) Robert E. Ulanowicz, Increasing entropy: heat death or perpetual har- monies. Int. J. of Design & Nature and Ecodynamics. Vol. 4, No. 2 (2009) 83-96.

(18) Bernard Lietaer, Au cœur de la monnaie, Yves Michel (2011).

(19) Pablo Servigne, Nourrir lʼEurope en temps de crise, Nature et Progrès (2014).

(20) Douglas Hanahan, Robert Weinberg, The hallmarks of cancer, Cell, vol.100, pp. 57-70, 2000.

(21) http://www.francois-roddier.fr/?p=43

L’économie symbiotique, un modèle économique régénératif

L’économie symbiotique, théorisée par Isabelle Delannoy (Homonymie fortuite avec l’auteur de ce blog), est issue du croisement des regards écologiques et économiques. Elle vise à réduire les externalités négatives, voire à produire des externalités positives.

Sur la base du constat de la convergence de :

  • l’économie circulaire, alimentée par des sources d’énergies renouvelables, qui renouvelle la gestion de la technosphère,
  • l’émergence du pair à pair qui renouvelle les rapports sociaux dans les échanges,
  • l’essor de l’ingénierie écologique et de la permaculture qui renouvelle notre rapport à la biosphère.
  • la gouvernance des biens communs (Elinor Ostrom).

L’économie symbiotique propose sur six principes de fonctionnement :

  1. une collaboration directe et libre entre entités,
  2. une diversité d’acteurs et de ressources respectant l’intégrité de chaque entité,
  3. des territoires de flux communs également accessibles à tous,
  4. des écosystèmes d’acteurs capables de renouveler voire d’accroître leurs ressources,
  5. minimisant la dissipation de l’énergie, de l’information et la dispersion de la matière.
  6. favorisant la compatibilité des activités humaines avec les grands équilibres de la biosphère.

Lorsque ces six principes sont respectés pour la gestion des ressources vivantes, humaines et physiques, dans la production, la consommation et la gouvernance, ces ressources entrent en symbiose :

  • Les ressources vivantes produisent les fonctions métaboliques essentielles à la société, sa régénération physique et mentale ; elles produisent les matières et matériaux pour les activités industrielles pour la société ; leur intelligence est source d’inspiration et d’efficience pour l’innovation ;
  • Les ressources technosphériques améliorent la puissance des systèmes, la circulation des flux, la production et la conservation de l’information ;
  • Les ressources sociales fournissent savoirs, savoir-faire et compétence, qu’elles augmentent par intelligence collective. Elles rendent les systèmes de plus en plus efficients – qu’ils soient vivants, techosphériques ou sociaux – par une amélioration de leur organisation en assurant les conditions de leur renouvellement et de leur croissance.

Les ressources technosphériques ont des externalités négatives sur les écosystèmes vivants et sociaux. Elles sont facteur de stress et ne peuvent renouveler complètement leur matière, elles sont fondamentalement extractives. Mais lorsque les trois types de ressources sont assemblées selon les 6 principes identifiés dans la production, la consommation et la gouvernance, elles entrent en synergie et permettent de diminuer radicalement les besoins en ressources technosphériques pour l’accès à de mêmes services, tout en créant des services nouveaux de bien être physique et mental et d’augmentation des capacités des acteurs.

Ce système symbiotique produit alors de façon systématique des externalités positives économiques, écologiques et sociales et diminue ses externalités négatives écologiques. Ces externalités étant les facteurs de production du système, le système devient régénératif : il génère par son activité les conditions de sa régénération.

La théorie de l’économie symbiotique postule qu’un nouveau système économique est en train d’émerger, répondant aux enjeux des crises écologiques, économiques et sociales. Elle démontre que l’ensemble de ses composantes, de ses acteurs et des méthodes permettant leur association sont présentes dans le monde mais encore dispersées. Associées, elles ouvrent la voie à une économie symbiotique et régénérative.

Pour en savoir plus : fr.symbiotique.org