La diversité, cette utopie qui rendra possible toutes les autres

A chaque époque son utopie. J’entends par là une idée, une « valeur », qui fixe un cap, donne une direction pour avancer. Prenons par exemple notre devise nationale : « Liberté, égalité, fraternité ». Trois mots, trois idées, trois valeurs ou trois utopies qui se complètent, s’articulent de façon parfois instable mais qui rassemblées en une même devise permettent de faire émerger ces fameuses « tensions fécondes » dont nous avons tant besoin pour progresser.
La liberté fut l’utopie d’un temps ou le peuple n’était pas souverain mais sujet. L’égalité celle d’un temps où selon votre naissance, votre ascendance, vous n’aviez pas les mêmes droits. Ces combats là sont-ils gagnés ? Bien sûr que non. Des progrès ont été faits, mais ils restent bien fragiles. Et pour chaque progrès, combien de reculs ?
La fraternité est l’utopie d’un temps où les humains, nos semblables, se déchirent, se divisent, se méprisent, semblent comme incapables de surmonter leurs différents et leur différences pour, selon l’expression de St Saint-Exupéry, « regarder ensemble dans la même direction ». Ce temps là, nous n’en sommes pas sortis, loin s’en faut.
La fraternité, si elle apparaît en dernier dans notre devise nationale, est pourtant bien l’utopie qui rendra possible les deux autres. La fraternité est la condition sine qua non de l’égalité et de la liberté. En la plaçant en troisième position, c’est comme ni nous avions placé la première marche d’un escalier après la deuxième et la troisième. Il n’est donc pas étonnant que, avec une hiérarchie de valeurs aussi bancale, nous nous cassions souvent la figure !
Il me semble, cependant, que nous avons oublié une marche à l’escalier : la première, peut-être même le socle de toutes les autres. En amont même de la fraternité, la liberté et l’égalité (J’ai tendance à trouver que ça marche mieux dans ce sens là – chacun se prononcera).
Cette première marche, ce socle sur lequel la construction des autres utopies sera peut-être enfin possible, c’est la diversité.
Il bien facile de considérer l’autre comme son frère ou sa sœur s’il nous ressemble en tous points, s’il parle la même langue, revêts les mêmes habits, partage les mêmes goûts et les mêmes orientations sexuelles, politiques ou religieuses que nous. Mais ce n’est alors pas de la fraternité. Ou, en tout cas, c’est une conception si étriquée de la fraternité qu’elle ne permet pas de faire société, qu’elle ne permet pas de vivre ensemble de façon apaisée, qu’elle ne permet pas de construire les liens de confiance minimum qui permettent à chacun d’exprimer sa liberté dans le respect de celle des autres.
La diversité, entendez par là le fait non seulement d’accepter la diversité, mais aussi de la promouvoir et d’en faire une valeur fondamentale de nos sociétés, est aujourd’hui une utopie urgente et nécessaire.
Pourtant, tout aujourd’hui, malgré les discours et les propos superficiels, tend à nier la diversité ou à la repousser dans les marges. La façon dont nous éduquons nos enfants fait fi de leurs différences voire même cherche explicitement à les gommer. Notre modèle de démocratie représentative a tendance à lisser les différences ou les nuances dans les opinions des citoyens, poussant de nombreuses frustrations à s’exprimer de façon violente. Notre modèle industriel, fondé sur la standardisation et l’uniformisation, cherche à nous faire adopter les mêmes produits, les mêmes services, par delà nos aspirations réelles et au mépris de nos différences culturelles. Notre agriculture nie la diversité des terroirs, des climats, des sols et des semences, et ce faisant, contribue à les affaiblir. Notre mode de développement, d’urbanisation, de gestion des espaces et des ressources provoque l’effondrement de la biodiversité, appauvrissant notre monde et nous plongeant dans cette « réalité diminuée » dont j’ai déjà parlé ici. Or, les effets de cette « réalité diminuée » sur notre façon d’être seront dramatiques, même dans l’hypothèse, peu probable, où notre espèce ne serait pas elle même emportée par l’effondrement biologique dont nous sommes la cause.  La diversité, sous toutes ses formes, s’estompe, voire s’effondre, sous nos yeux. Et ce n’est pas juste dommage ou regrettable : c’est un pilier essentiel de la vie qui disparaît et dont nous sommes en train, par ignorance, par indifférence, sans parler bien sûr de la malveillance, de nous priver.
Nier la diversité, la repousser dans les marges, c’est instiller de manière perfide l’illusion qu’il y a « nous » et « les autres », et que nous pourrions très bien vivre les uns sans les autres, ou les uns séparés des autres. C’est nier nos interdépendances et leurs effets sur notre évolution non seulement personnelle, culturelle et sociale, mais aussi, au sens strict, biologique. Comme l’a si bien exprimé Boris Cyrulnik, « le paradoxe de la condition humaine c’est qu’on ne peut devenir soi-même que sous l’influence des autres ».  Ce qui est vrai des individus l’est aussi des sociétés humaines et des espèces : nul ne peut s’épanouir et être ce qu’il est sans altérité.
Il est urgent d’ériger la diversité au rang de valeur fondamentale, d’en faire un pilier de notre socle de valeurs. Il est indispensable, essentiel même, de la valoriser, de la promouvoir, de la rechercher activement et de la restaurer, tant qu’il est possible.
La diversité est l’utopie de notre temps. Elle est celle qui rendra possible toutes les autres.

Pourquoi la permaéconomie ?

La permaculture est, selon ses concepteurs* eux-mêmes, une méthode systémique et globale s’inspirant des écosystèmes naturels pour la conception de systèmes de productions durables. Formulée de la sorte, la permaculture devrait donc pouvoir être appliquée à tout système de production ou organisation humaine. Toutefois, pour une raison qui reste à éclaircir, ce concept reste encore largement associé à la seule production agricole et, dans une moindre mesure, à la conception d’habitats ruraux.

Pourtant, en les étudiant de plus près, les principes de conception permaculturelle, reposant à la fois sur une approche empirique et des fondamentaux scientifiques solides, sont suffisamment robustes pour être déclinés avec pertinence à la conception, à quelque échelle que ce soit, de systèmes de production industriels ou tertiaires, ou encore de modèles économiques, voire globalement à toute activité ou tout système conçu, aménagé et géré par l’Homme.

Il semble que nos socles culturels et éducatifs, reposant encore largement sur une approche réductionniste, n’aient pas facilité la pénétration des nouvelles approches systémiques, holistiques et fractales, pourtant plus aptes à décrire les fonctionnements des systèmes vivants, et ce dans des disciplines aussi diverses que la biologie, l’écologie, la psychologie, la sociologie ou même… l’économie. La quête de compétitivité, ce Graal des temps modernes, faisant le reste en favorisant la recherche de résultats rapides en toutes choses, quels qu’en soient le prix à payer et les conséquences à moyen ou long terme.

L’illusion confortable d’un « développement durable » qui ne nécessiterait que des ajustements marginaux aux systèmes de production hérités de la révolution industrielle, et la croyance sans faille dans le fait que le progrès technologique apporterait en temps utile les solutions à tous nos problèmes nous ont, à la fois, détournés d’une nécessaire réflexion lucide sur le sens de l’économie et du développement, et fait passer à coté de formidables opportunités. Il n’est toutefois, fort heureusement, pas trop tard.

Si nous avons aujourd’hui à notre disposition l’ensemble des outils, concepts et méthodes nécessaires, comme le sont par exemple l’économie circulaire, l’économie de fonctionnalité, le biomimétisme, l’économie de la connaissance ou le concept de réinvestissement dans le capital naturel, il nous manque l’essentiel : un cadre conceptuel stratégique cohérent et opérationnel pour passer de la réflexion à l’action, des concepts aux réalisations. Ce cadre stratégique, inspiré des principes de la conception permaculturelle, c’est la permaéconomie.

La permaéconomie ? Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi ce nouveau concept ? Le paragraphe qui suit propose à la fois une première définition et une réponse à cette question :

« La permaéconomie est une économie entretenant d’elle même les conditions de sa propre pérennité. Inspirée de la permaculture, dont elle transpose les principes à l’économie en général, elle vise une production de valeur nette positive, compatible avec les limites de la biosphère. Son objectif est de permettre une production de biens et de services rentables et créateurs d’emplois tout en réinvestissant dans les socles fondamentaux que sont les humains, la société et les écosystèmes. A ce titre, elle cherche à éviter tout coût caché et toute externalité négative, et à dépasser la notion de compensation pour aller vers une consolidation, voire si nécessaire une régénération des facteurs de productions pris au sens large. Il s’agit notamment de la compétence, la confiance et l’épanouissement personnel pour ce qui concerne le capital humain ; de la cohésion sociale, du vivre ensemble, de la sécurité et de l’accès aux soins, à l’information et à l’éducation pour ce qui concerne le capital social ; et enfin de la pleine fonctionnalité, de la résilience et de la capacité d’évolution des écosystèmes pour ce qui concerne le capital écologique. En complétant et en articulant l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, le biomimétisme et l’innovation agile, la permaéconomie offre un cadre éthique et opérationnel, à la fois systémique, c’est à dire mettant l’action sur les liens et les interrelations plutôt que sur les entités, holistique, c’est à dire offrant une vision globale et décloisonnée, et fractal, c’est à dire déclinable à toute échelle, du projet à l’organisation des systèmes de production en passant par celle des territoires. »

Ma conviction est que la permaéconomie, telle qu’elle est ici proposée, est une opportunité à saisir pour tout acteur économique : du porteur de projet à la grande entreprise, en passant par les TPE et PME, mais aussi les territoires et collectivités. Déclinés en outils simples et concret, ses principes** sont de nature à guider toute personne ou organisation, que ce soit dans la phase d’élaboration des projets ou dans leur conduite opérationnelle.

* Les australiens Bill Mollison et David Holmgren.

** La description détaillé des 12 principes est en annexe du livre.