Madeleine Renaud disait « les oiseaux sont les derniers animaux sauvages que l’on peut voir facilement ».
Mais pour combien de temps encore ?
Nous vivons dans un moment bien particulier : 26 ans après le sommet de la terre à Rio, plus de 30 ans après l’apparition de l’expression « développement durable », 55 ans (!) après la publication de « Silent spring », par Rachel Carlson, il est à nouveau question d’un printemps silencieux.
Semaine après semaine, des travaux scientifiques rigoureusement validés nous confirment ce que nous savons déjà. 50 % des populations de vertébrés sauvages ont disparu de la surface de la terre en 50 ans. Les populations d’insectes volants, parmi lesquels les pollinisateurs, ont été divisé par 4 en 40 ans. La disparition des oiseaux, mêmes des espèces autrefois les plus communes, s’accélère sans cesse. Et les océans qui se vident sous les coups de butoir de la surpêche, des pollutions chimiques et sonores, de l’artificialisation du littoral et de l’acidification.
Nous vivons dans un moment où la biodiversité, entendez par là l’ensemble des formes de vie sur terre ; la vie à tous ses niveaux d’expressions, des gènes aux écosystèmes en passant par les espèces ; et, ce qui est peut-être l’essentiel, leurs interrelations entre elles et avec nous ; cette biodiversité donc, qui disparaît, qui s’effondre sous nos yeux indifférents, à un rythme 1000 fois supérieur au rythme naturel d’extinction des espèces.
Ce monde-là, que nous avons déjà presque oublié avant d’en avoir fait le deuil, tant nous « zappons » à travers un flot continu d’informations désordonnées, tant nous avons tout fait pour ériger des barrières mentales et technologiques entre lui et nous, s’efface.
Et c’est, avec lui, une part de nous-même, de notre culture, de notre capacité empathique, de notre humanité qui s’estompe peu à peu.
Il est paradoxal de constater qu’au moment même où nous parlons de plus en plus de « réalité augmentée », que ce soit dans le monde des loisirs ou des applications professionnelles, nous sommes en fait confrontés, chaque jour qui passe, à un monde qui s’appauvri, et qu’il conviendrait plutôt de prendre conscience que nous nous habituons, sans vraiment réagir, à ce qu’il faut bien appeler une « réalité diminuée ».
Notre monde ressemble de plus en plus à celui qui décrivait Philip K. Dick dans son roman « Les androïdes rêvent-il de moutons électriques », qui allait donner « Blade Runner » au cinéma. Derrière l’apparence d’un roman de science-fiction, ce livre est en fait le premier ouvrage grand public sur l’empathie. Ce que Philip K. Dick y décrit, c’est un monde dans lequel les humains, désemparés, perdus, vivent sans aucun contact avec d’autres espèces que la nôtre. Un monde dans lequel les repères sont estompés. Un monde dans lequel vivre en humain est désormais un défi presque impossible, puisqu’il n’y a plus de non-humains.
Il est aussi temps de relire, avec le recul dont nous disposons aujourd’hui, cet autre texte prémonitoire qu’est la « Lettre à l’éléphant», de Romain Gary. Face aux défis que représentent, entre autres, la montée des extrêmes xénophobes, la radicalisation et les tentations complotistes, il est indispensable de renforcer notre capacité à accepter la différence, la tolérance, le respect, le fameux « vivre ensemble » et l’empathie. Or, cette tâche nous sera de plus en plus difficile à mesure que notre espèce sera de moins en moins entourées d’autres espèces, des plus charismatiques et « sympathiques » aux plus étranges ou dérangeantes. Or, ces vertus-là sont essentielles. Elles sont le socle qui fonde tout engagement. Elles sont ce dont nous aurons le plus besoin pour ce grand voyage vers un monde inconnu, dont chaque jour qui passe nous rapproche.
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