La dimension hédoniste de la transition écologique

Note : Cet article a été proposé par le Prince Louis-Albert de Broglie pour un projet de revue à paraître en 2015. Ce projet n’ayant finalement pas vu le jour, l’article était resté jusqu’ici inédit, malgré sa grande valeur. Nous le publions ici, tant en raison de cette valeur que de sa proximité évidente avec le sujet de la permaéconomie.

Les générations futures considéreront-elles un jour que les deux cent dernières années d’intense prédation des ressources naturelles et des écosystèmes qui pourtant nous nourrissent, nous soignent et nous émerveillent, ont démontré un degré exceptionnel d’inconscience de l’espèce humaine sur son habitat ? Pourraient-elles « un jour nous haïr » comme le soulignait Nicolas Hulot lors de son intervention au Sommet des Consciences[1] ? Pourraient-elles voir dans ces quelques générations passées un sommet d’égoïsme terrifiant, la bêtise de la pensée court-termiste, tel l’homme qui coupe le cerisier pour cueillir ses fruits et s’étonne l’année suivante de ne plus pouvoir les déguster !

Cette grande transition écologique, que nombre appellent de leurs vœux, conscients de l’urgence d’un changement holistique, aura in fine pour but de donner une dernière chance à l’humanité. Cherchant à répondre ainsi à la fragilité de l’homme ainsi qu’à celle de l’ensemble du vivant, de laquelle l’homme est lui-même responsable, ce changement d’ampleur sera du ressort des gouvernants comme des citoyens. Par leurs voix, leur insurrection, et par ce qu’ils observent, ils devront modifier le cours de l’histoire récente, brève mais destructrice, intense dans ses contradictions et dans ses fausses certitudes aujourd’hui contredites.

Or le vivant, produit de l’évolution, de ce laboratoire que notre planète abrite depuis l’apparition des premières molécules, des êtres unicellulaires, des algues, des mousses, est une source phénoménale et inépuisable d’émerveillement. L’infinie beauté, l’extrême complexité, l’admirable capacité de résilience de cette vie, reste pour partie un mystère inexplicable.

Et nous ne sommes pourtant qu’à l’aube de nouvelles découvertes, que ce soit au fond des abysses ou aux cimes des canopées, au cœur de la terre, dans les êtres microscopiques, plus petits que le micron. Tous ces organismes vivent et évoluent depuis des millénaires en un tout écosystémique, symbiotique qui doit nous obliger, nous les homo sapiens, à les considérer comme existant consubstantiellement à un ensemble.

Notre tube digestif n’abrite-t-il pas des milliards de bactéries, qui constituent un véritable écosystème au service de notre survie ?

De la même façon, ne partage-t-on pas des gènes avec les espèces animales, que l’évolution a transformés en intelligence humaine par d’incroyables adaptations ?

Les sciences naturelles, les sciences de la Vie, la botanique, la zoologie, la conchyliologie, la minéralogie, l’entomologie… ont soulevé tout au long de leur histoire des questions d’ordre métaphysique. Elles ont aussi paradoxalement porté un coup irrémédiable à la notion de nature sacrée, de création divine, en objectivant la nature, en la décortiquant.

Alors qu’une règle cosmique, selon nos racines méditerranéennes, plaçait toutes formes de vie sous l’autorité ou la bienveillance d’un panthéon de divinités qui donnait à chaque chose le sens de son destin, nous avons failli à ce regard, à ce qu’il confère de supérieur à la nature et au mystère dont il l’entoure.

Sur le fondement de la curiosité et de la quête du pourquoi, dans cette somme incalculable du vivant, nous avons appris à reconnaître ce qui était comestible, ce qui était médicinal, tinctorial, cosmétique, industriel. Nous avons appris à rechercher les constituants remarquables aux vertus nombreuses. Nous avons appris à puiser ces richesses issues des temps immémoriaux, pour satisfaire notre bien supposé, jusqu’à oublier par nos vanités toutes la gestion de leur finitude.

D’un peuple de chasseurs-cueilleurs, puis sédentaires, nous sommes devenus chasseurs-préleveurs, chasseurs-extracteurs, chasseurs-destructeurs et enfin chasseurs-exterminateurs. Dans le même temps notre intelligence créatrice, qui fut un temps glorifiée par les peintres, les musiciens, les poètes, fut mise au service unique de la marchandisation, de la spéculation, de la simplification, seuls possesseurs de cette fameuse diversité qui au premier instant nous émerveillait et nous éveillait tant.

Pendant une longue minute fermons les yeux et revivons quelques émotions en découvrant les natures mortes flamandes du XVIIe comme celle de Willem Claeszoon Heda, toutes bien vivantes par la fraîcheur et la saveur qu’elles dégagent. Fermons les yeux et regardons les paysages de Gainsborough, la peinture animalière de Jean Baptiste Oudry. Fermons les yeux et relisons les odes à la Nature, Musset, Victor Hugo, Ronsard… Si cela était il y a peu de temps à l’échelle du temps humain, à l’échelle du temps naturel, c’était hier.

Ces images du beau se sont démocratisées lorsque les musées se sont appropriés la leçon de choses ou la leçon d’art, elles sont devenues des images populaires, accessibles jusqu’à devenir de la publicité. Ventant ce qui doit être esthétique et ce qui doit être bon pour vous, pour nous, pour eux. Aliments prémâchés et prédigérés au point où, en l’espace de quelques décennies, rien n’est plus beau que d’avoir le même « bel objet » entre les mains, la même pomme aux quatre coins du globe, la même émotion au son du pschitt d’une boisson gazeuse, le même sens du sublime ! L’esthétique l’a emporté sur le vrai, la standardisation sur le naturel.

Le panthéon des dieux a muté en panthéon des marques, epsilon des dieux, mais références de beauté universelle pour certains.

Alors qui s’émeut encore de cette campagne où les foins étaient battus par l’outil des paysans qui aimaient leur terre, qui vibrait au rythme des saisons, des semailles, des chants sur le chemin des moissons.

Alors qui s’émeut encore de l’identité d’un peuple symbole d’un territoire, d’un paysage symbole d’une racine, d’une vie symbole d’une histoire.

Alors qui s’émeut encore, humant une soupe cuisinée par une grand-mère dépositaire d’une tradition, d’un tour de main ? Elle qui avec amour et pour les autres, transforme les légumes d’un potager qui allie la richesse de produits naturels pour amadouer le palais de plusieurs générations, symbolisant ainsi leur histoire singulière, celle de leur famille, de leur terroir.

Cette transition énergétique évoque tant de sujets que l’on en oublie le principal. Les uns en appellent à la transition énergétique et l’abondance d’une énergie moins prédatrice des ressources naturelles, les autres en appellent à l’éco-rénovation, l’éco-mobilité, l’économie du partage, l’économie circulaire, des villes durables, éventuellement de l’émergence des territoires et de la préservation de la biodiversité…

Peu évoquent l’amour du beau, du bon, du juste comme si la juxtaposition linéaire de ces trois mots était réservée à une déclaration devant un parvis boboïsant en quête de nostalgie.

Ce qui nous sustente, au-delà de l’aspect physiologique, résonne pour chacun en son for intérieur, il résonne de souvenirs, de saveurs, d’histoire et de plaisir.

Le vivant pour se nourrir, le vivant pour ce qu’il résonne en chacun de nous. Mais pour cela il faut modifier la lecture que nous avons de ce vivant. Il faut changer de logiciel et le reconfigurer à la lueur des grands enjeux que sont notre santé, celle des sols qui nous nourrissent, des cours d’eau et des nappes phréatiques qui nous abreuvent, des paysages qui symbolisent notre appartenance à une région, à un lieu, à notre histoire.

Il faut faire prendre conscience que tout est interconnecté, que le vivant est la chaîne de la vie dont nous sommes un des maillons, que si un maillon se rompt, cette chaîne n’en est plus une. Si les grands requins disparaissent alors qu’en est-il du plancton ? Si les vers de terres disparaissent, alors qu’en est-il de la terre fertilisable ? Si les pollinisateurs s’effondrent, alors qu’en est-il de la floraison ? Si les terres ne sont plus cultivables, qu’elles s’assèchent comme au Sahel, alors les populations fuient pour d’autres mirages et qu’en sera-t-il de la paix, cette colombe revenue du mont Ararat !

Une terre nue est triste, une terre nue est laide, elle est lavée par le vent, par la pluie, elle est pauvre et elle peut même s’asphyxier.

Une terre abandonnée peut être aussi une insulte à la vie, car si elle n’abrite plus tout une chaîne du vivant, elle est tout juste un espace non construit, alors qu’une parcelle cultivée est une véritable machine de vie qui fixe le carbone et l’azote, crée de la matière organique, favorise la richesse des sols et des sous-sols et révèle tant de nutriments essentiels à la production maraîchère mais aussi à toute la vie du sol.

Mais ce n’est pas tout. Le vivant est une collection infinie de graines et un patrimoine génétique différent, complémentaire et impressionnant.

Cette richesse variétale, cette richesse d’espèces ou de races sont autant de produits de l’évolution que devons protéger. Encore faut-il être curieux de connaître les nombreux services de cette richesse !

A commencer par des services de subsistance, de qualité de nourriture, de nos besoins de matières naturelles pour les services et l’industrie, puis les services écosystémiques, de relations entre êtres vivants essentiels à la chaîne, de services culturels, ce qui relie le territoire à notre émerveillement et provoque l’émergence notamment des arts.

Le beau est là, il est omniprésent, mais il faut le cultiver et le transmettre, le passer et le préserver.

Il ne faut pas avoir peur de l’appréhender par curiosité et par fascination, car le beau devient alors bon, bon pour chacun en tant qu’être doté de conscience et ainsi d’émotions, car celles-ci sont de tous ordres, olfactif, visuel, gustatif, tactile, auditif.

Se lever aux chants des oiseaux, travailler dans la verdure, humer l’air frais et parfumé des premiers nectars d’un matin de printemps, autant de joies qu’en compte le Bonheur Intérieur Brut cher à Stieglitz, cher à quelques nations, comme le Bhoutan, le Costa Rica qui ont mis la paix et la préservation du vivant au sommet du portique de leur édifice.

Alors doit-on en appeler au beau et au plaisir pour réussir la transition énergétique.

Cela paraît si évident que la réalisation pourrait en être encore plus improbable.

Cette dimension hédoniste devrait être la préoccupation des politiques car c’est en quelque sorte une arme formidable contre de nombreux déracinements.

Les hommes et les femmes qui doutent de la déshumanisation du monde se tournent résolument vers les campagnes, vers la nature où ils recherchent un équilibre salvateur.

La nature appelle aujourd’hui des hommes résolument libres. Libres car ils possèdent la connaissance, celle des informations disponibles via Internet, libres car ils voient les limites d’un monde de prédation qui semble avoir tenté toutes les routes de la pensée politique. Libres car pour la plupart ils ont compris que la véritable liberté c’est l’indépendance de leur propres vies. Et que celle-ci commence par un air sain dans un corps sain, donc une nourriture saine et abondante, mais sans excès, sauf peut-être celui du partage.

Le politique doit s’emparer du beau et du bon, selon le cri de Carlo Petrini car il est le contraire du laid et du danger de la banalisation.

Le beau est un graal, sacré, une promesse de l’aube ou le murmure d’une nouvelle vie. Le beau est un pacte secret qui nous échappe, mais que nous ne devons jamais cesser de chanter en espérant un jour percer ce mystère hors de notre temps.

Le beau reste et demeure la magie du bonheur, de l’échange, de l’altruisme et donc de la Paix.

Louis-Albert de Broglie
Prince Jardinier
Éditeur, Deyrolles pour l’avenir
Fondateur du Conservatoire de la tomate
Fondateur du réseau des fermes d’avenir

[1] Le Sommet des Consciences s’est tenu le 21 juillet 2015 au Conseil Economique, Social et Environnemental

L’économie symbiotique, un modèle économique régénératif

L’économie symbiotique, théorisée par Isabelle Delannoy (Homonymie fortuite avec l’auteur de ce blog), est issue du croisement des regards écologiques et économiques. Elle vise à réduire les externalités négatives, voire à produire des externalités positives.

Sur la base du constat de la convergence de :

  • l’économie circulaire, alimentée par des sources d’énergies renouvelables, qui renouvelle la gestion de la technosphère,
  • l’émergence du pair à pair qui renouvelle les rapports sociaux dans les échanges,
  • l’essor de l’ingénierie écologique et de la permaculture qui renouvelle notre rapport à la biosphère.
  • la gouvernance des biens communs (Elinor Ostrom).

L’économie symbiotique propose sur six principes de fonctionnement :

  1. une collaboration directe et libre entre entités,
  2. une diversité d’acteurs et de ressources respectant l’intégrité de chaque entité,
  3. des territoires de flux communs également accessibles à tous,
  4. des écosystèmes d’acteurs capables de renouveler voire d’accroître leurs ressources,
  5. minimisant la dissipation de l’énergie, de l’information et la dispersion de la matière.
  6. favorisant la compatibilité des activités humaines avec les grands équilibres de la biosphère.

Lorsque ces six principes sont respectés pour la gestion des ressources vivantes, humaines et physiques, dans la production, la consommation et la gouvernance, ces ressources entrent en symbiose :

  • Les ressources vivantes produisent les fonctions métaboliques essentielles à la société, sa régénération physique et mentale ; elles produisent les matières et matériaux pour les activités industrielles pour la société ; leur intelligence est source d’inspiration et d’efficience pour l’innovation ;
  • Les ressources technosphériques améliorent la puissance des systèmes, la circulation des flux, la production et la conservation de l’information ;
  • Les ressources sociales fournissent savoirs, savoir-faire et compétence, qu’elles augmentent par intelligence collective. Elles rendent les systèmes de plus en plus efficients – qu’ils soient vivants, techosphériques ou sociaux – par une amélioration de leur organisation en assurant les conditions de leur renouvellement et de leur croissance.

Les ressources technosphériques ont des externalités négatives sur les écosystèmes vivants et sociaux. Elles sont facteur de stress et ne peuvent renouveler complètement leur matière, elles sont fondamentalement extractives. Mais lorsque les trois types de ressources sont assemblées selon les 6 principes identifiés dans la production, la consommation et la gouvernance, elles entrent en synergie et permettent de diminuer radicalement les besoins en ressources technosphériques pour l’accès à de mêmes services, tout en créant des services nouveaux de bien être physique et mental et d’augmentation des capacités des acteurs.

Ce système symbiotique produit alors de façon systématique des externalités positives économiques, écologiques et sociales et diminue ses externalités négatives écologiques. Ces externalités étant les facteurs de production du système, le système devient régénératif : il génère par son activité les conditions de sa régénération.

La théorie de l’économie symbiotique postule qu’un nouveau système économique est en train d’émerger, répondant aux enjeux des crises écologiques, économiques et sociales. Elle démontre que l’ensemble de ses composantes, de ses acteurs et des méthodes permettant leur association sont présentes dans le monde mais encore dispersées. Associées, elles ouvrent la voie à une économie symbiotique et régénérative.

Pour en savoir plus : fr.symbiotique.org

Dans toutes les bonnes librairies…

Vous êtes libraire et vous avez « permaéconomie » en présentation ? Prenez en une ou des photos, et nous les publierons ici. Vous aimez votre libraire indépendant et vous constatez qu’il a « Permaéconomie » (ou « L’économie expliquée aux humains ») sur ses présentoirs ? Envoyez nous vos photos.

Nous aimons les libraires indépendants. Quoi de plus normal que de leur assurer une visibilité ici ?

Ici à la « Librairie de Paris », place de Clichy : http://www.librairie-de-paris.fr

Merci à Gilles Gambin pour le partage !

Chez Sauramps, à Montpellier

Merci à Bertrand Monfort pour le partage !


Réinventer notre économie à partir des tiers-lieux et de la permaéconomie

Une recension par Jean-Pascal Derumier :

J’ai lu récemment trois livres extrêmement intéressants : « La Dynamique du capitalisme » de Fernand Braudel, « Permaéconomie » d’Emmanuel Delannoy et « Le crépuscule des lieux » de Pierre Giorgini. Le premier éclaire les dynamiques économiques en œuvre dans nos  sociétés, le second développe les contours d’une voie économique émergente pleine de promesses et le troisième évoque comment la transition techno-scientifique en cours est en train de bouleverser notre rapport aux lieux, aux espaces, au local. Je vais m’appuyer sur les propos de ces différents auteurs pour tenter de démontrer comment l’échelon local, revisité à partir des principes de la Permaéconomie et revivifié par le tiers-lieux, peut constituer une alternative efficace aux logiques du capitalisme, ou plus exactement, comment une approche « permaéconomique » développée à partir de tiers-lieux peut contribuer à revivifier le tissu socio-économique local tout en le préservant des mécanismes délétères du capitalisme.

Pour planter le décor, il est intéressant de tirer, comme l’a fait E. Delannoy, le fil de l’analogie entre nos modes de production agricoles industriels et nos modes économiques capitalistiques. Ce faisant, on constate qu’après avoir été à l’origine d’indiscutables avancées, aucun de ces deux modèles ne peut prétendre se maintenir sur la durée. En effet, le premier épuise nos sols et le second nos ressources (humaines et naturelles). Pour l’un, cette dégradation est due à l’usage massif d’engrais chimique. Pour l’autre, elle résulte de notre dépendance à un engrais non moins délétère : l’argent, autour duquel tout s’articule et sans lequel on n’est plus rien. Cette dépendance à la monnaie est à tel point caricaturale qu’elle a fait dire au chef indien Geronimo :  » Quant le dernier arbre aura été abattu, quand la dernière rivière aura été empoisonnée, quand le dernier poisson aura été péché. Alors on saura que l’argent ne se mange pas ».  Elle est devenue la seule unité de mesure de notre activité économique qui se borne désormais à rendre compte uniquement de « ce qui se compte » (c’est-à-dire à ce qui a une contrepartie monétaire). Ce faisant, comme nous le dit Patrick Viveret, elle occulte une bonne partie, sinon l’essentiel, de  « ce qui compte vraiment pour nous ». Quid de la qualité de nos liens avec nous même,  aux autres ou à notre environnement sans lesquels il n’y aurait ni société, ni économie. Quid aussi des plaisirs de la vie pourtant si essentiels à notre équilibre et de bien d’autres choses. Situation, comme nous allons le voir, largement due au hold-up exercé par le mode économique dominant c’est-à-dire le capitalisme.

De la permaculture à la permaéconomie

Dans son ouvrage « Permaéconomie », E. Delannoy présente la permaculture comme la métaphore d’un modèle économique permettant à l’homme de se développer en préservant, d’une part, les équilibres socio-économiques nécessaires à « une bonne vie » et, d’autre part, les équilibres écologiques nécessaires à la biosphère[1]. Ainsi, à la différence des modes productivistes qui épuisent nos sols,  le modèle de permaculture  contribue à la préservation des équilibres au travers d’une double production : pour nous (nous nourrir) et pour le sol (agriculture régénératrice). La permaéconomie est quant à elle définie comme « une nouvelle économie  qui, en entretenant elle-même les conditions de sa propre pérennité, créera les conditions d’un épanouissement humain durable et compatible avec la biosphère ». Elle va donc encore plus loin que la permaculture, car elle vise à une triple production : production de biens et de richesses ; production qui réinvestit dans le capital naturel (pour éviter qu’il ne se dégrade) et production de capital humain et social (donc générateur de lien et de coopération). Selon E. Delannoy, les briques constitutives de la permaéconomie sont déjà là. Ce sont notamment l’économie circulaire, l’économie des fonctionnalités, le biomimétisme, le crowdfonding, les monnaies alternatives, etc. Il insiste tout particulièrement sur la nécessité d’inventer de nouvelles formes de coopérations, car la coopération et plus largement le lien sont  en quelque sorte le moteur de la permaéconomie. En  effet, pour lui, comme de façon plus générale dans la systémique, « ce qui se passe entre les êtres est aussi important que les être eux-mêmes ». Il développe bien entendu de façon intéressante les nombreuses particularités de la nature (non-linéarité, symbioses …), qui sont autant de sources d’inspiration pour notre économie (à venir). Nous y reviendrons un peu plus loin.

En fin d’ouvrage, E. delannoy critique le schéma classique du développement durable (les trois sphères de l’économie, du social et de l’environnemental en intersection). Ce dernier est pour lui intéressant sur son principe … mais ne nous dit rien de ce qu’il faut faire. Il propose en alternative le schéma de René Passet[2], extrait de son livre « l’économique et le vivant », publié en 1979.

Dans cette représentation dite « enchâssée » (c’est  à dire où les trois figures sont imbriquées les unes dans les autres à la manière des poupées russes), la sphère écologique (la biosphère) n’est ni séparée, ni mise en niveau de celles du social et de l’économie, mais les englobe … Elle indique que la biosphère contraint les activités humaines, qui elle-même contraint celle de l’économie. Autrement dit, elle rend compte du fait qu’il n’y aurait pas d’économie sans activité humaine et pas d’activité humaine … sans biosphère. Cette dernière a bien entendu longtemps existé sans activité humaine, et a fortiori sans économie. Mais à l’ère de l’anthropocène, il convient de penser des relations équilibrées, vivantes et dynamiques entre ces trois sphères si on veut préserver un environnement propice à notre (sur)vie. SI vous voulez avoir une explication rapide et claire de la permaéconomie (sur la base de ce schéma de René Passet), je vous invite à regarder une vidéo de 15min en cliquant sur le lien ci-après : https://www.youtube.com/watch?v=Ods61c6mNcY.

Cette approche résolument positive milite pour la refondation de l’économie autour des logiques locales. En effet le principe de la Permaculture, à la différence de l’agriculture productiviste, rend possible (voire nécessite) une production à petite échelle dans laquelle il n’est ni question de spécialisation à outrance ni de mode production industrielle. Elle n’en est pas moins performante, car outre son potentiel de création d’emploi, elle offre des taux de rendement à l’hectare très élevés.

Lire la suite sur son blog : c9consulting.fr

Formalab Permaéconomie 8, 9, 10 novembre 2017, Paris

L’institut INSPIRE organise  une formation-lab à la permaéconomie et ses applications à la conception de modèles économiques durables, à la gouvernance des collectifs humains et à la transmission des savoirs et compétences. Cette formation aura lieu les 8, 9 et 10 novembre prochain à Paris (Le lieu exact sera publié prochainement).

Toutes les informations sont disponibles (et seront mises à jour régulièrement) à cette page.

Cliquez ici pour télécharger la plaquette d’information (Format pdf)

Cliquez ici pour vous pré-inscrire : https://fr.surveymonkey.com/r/formalab_Permaeconomie

 

Crise, quelle crise ?

L’histoire du vivant est jalonnée de crises : ces cinq crises d’extinction majeures que les paléontologues connaissent bien, et dont la dernière, la plus connue du grand public, a causé la disparition des dinosaures à la fin du Crétacé. Ces crises, subites à l’échelle des temps géologiques, brutales par leur ampleur, « redistribuent les cartes ». Ce qui les caractérise, c’est qu’il y a un avant et un après : des équilibres radicalement différents de la situation qui précédait se mettent en place, plus ou moins progressivement. Ce que les paléontologues appellent crise ne recouvre donc pas le même sens que celui que donnent les dirigeants politiques et la plupart des analystes économiques à ce même mot. En politique ou en économie, comme en médecine, une crise est un trouble momentané, généralement suivi d’un « retour à la normale » : guérison en médecine, sortie de crise en économie. En politique, une crise peut dans certains cas conduire à un changement de régime, ce qui se rapproche du sens que donnent à ce mot les paléontologues, pour lesquels une crise est un moment critique et décisif précédant un changement d’état, l’équivalent de ce que les physiciens appellent un changement de phase (par exemple, l’ébullition qui sépare l’état liquide de l’état gazeux). L’analyse des archives fossiles présentes dans les sédiments montre que les crises « ponctuent » des périodes de relative stabilité pendant lesquelles l’évolution est plus progressive. Les espèces évoluent et coévoluent bien sûr, et s’adaptent à un environnement qui change, mais de façon plus graduelle. Pour reprendre les types d’innovation, on pourrait ici parler d’innovation incrémentale. Mais pendant les crises, et les périodes qui les suivent, tout semble s’emballer, aller plus vite : des espèces nouvelles apparaissent, d’autres se diversifient et se transforment très vite, comme ce fut le cas pour les mammifères qui ont rapidement colonisé, au début de l’ère tertiaire, les niches écologiques laissées vacantes suite à la disparition des dinosaures. Ce sont alors des innovations de rupture qui apparaissent. Pour caractériser cette alternance entre états de stabilité (relative) et crises, les paléontologues américains stephen Jay gould et niles eldredge ont formulé la théorie dite des « équilibres ponctués ».
Or, si on superpose les courbes traçant l’évolution de la diversité du vivant et celles des indicateurs économiques on y trouve, dans les deux cas, des périodes de relative stabilité ponctuées de périodes de crises, pendant lesquelles tout est reconfiguré, et durant lesquelles il est nécessaire de s’adapter très rapidement. Innover, pour s’adapter au changement, suppose d’interroger la notion de performance. Sur un marché en croissance dans lequel la disponibilité des ressources n’est pas un problème, être performant c’est être capable de produire en très grande quantité, à faibles coûts. Cela suppose, pour se démarquer des concurrents, de mettre en place des processus contrôlés permettant une maximisation de l’utilisation des ressources, et globalement d’être plus rapide, plus fort, plus puissant, dans le cadre d’une stratégie de spécialisation et de recherche d’économies d’échelle. Dans ce contexte d’abondance, la performance repose sur une logique de compétition. Mais ce type de performance est très vulnérable au changement : qu’un paramètre environnemental, social ou réglementaire vienne à changer, et c’est alors un risque de déstabilisation, voire d’effondrement qui apparaît. La notion de performance devrait donc intégrer le paramètre résilience. Des acteurs majeurs se sont effondrés dans les 30 dernières années parce qu’ils étaient trop spécialisés (Pensez à Kodak). La zone optimale se situe au croisement entre performance et résilience. En période de grande instabilité, les logiques de spécialisation et de compétition ne suffisent plus. Ce sont les aptitudes à la coopération, à l’adaptation, à l’innovation agile qui font la différence. Insectes, bactéries, champignons ou micro- organismes ont des cycles de reproduction rapide et un haut potentiel d’évolution et d’adaptation. En termes de stratégie d’innovation, dans les périodes fastes, c’est souvent l’innovation incrémentale qui est privilégiée. L’innovation incrémentale, c’est finalement chercher à faire encore mieux ce que l’on fait déjà très bien, afin de renforcer sa compétitivité. Logique de compétition, là encore. A l’inverse, dans des périodes d’instabilité, ce sont les innovations de rupture ou les innovations radicales qui sont les stratégies les plus appropriées, même si elles supposent aussi plus de risques. Mais nous sommes dans une de ces périodes où « le plus grand des risques serait de ne pas en prendre(1) ».
La nature utilise les contraintes comme des opportunités. Chaque changement dans l’environnement, chaque nouvelle contrainte est une occasion d’évoluer, et donc d’innover pour s’adapter. Dans un monde en mouvement, résister au changement ne sert à rien. L’illusion de gagner momentanément du temps se paie au prix fort au moment où la rupture devient inévitable. Le prix à payer est alors beaucoup plus important que si le changement nécessaire avait été amorcé à temps, en accompagnant les acteurs qui en ont le plus besoin. Nous avons hélas souvent tendance à faire l’inverse. Par peur du changement, et en cherchant à bien faire pour amortir les chocs économiques et les transitions brutales, il arrive que des modèles économiques à bout de souffle ou des modes de production dépassés et non compatibles avec les limites de la biosphère soient soutenus à coup de subventions publiques, dans l’espoir de maintenir une certaine paix sociale(2).
Mais il arrive toujours que les illusions retombent. On réalise alors, mais trop tard, que ces mêmes moyens financiers auraient été mieux employés s’ils avaient été mobilisés pour accompagner le changement et aider les entreprises et les citoyens à « faire leur mue ».
(1) – Citation parfois attribuée à Winston Churchill, parfois à J.F. Kennedy.
(2) – A titre d’illustration, on peut citer les aides publiques au charbon ou à l’acier dans les années 1970 et 1980, ou encore, aujourd’hui, les 5 300 milliards de dollars de subventions accordées chaque année par les états dans le monde entier pour soutenir les énergies fossiles, dans un contexte de changement climatique (Novethic, octobre 2015).

Pourquoi la permaéconomie ?

La permaculture est, selon ses concepteurs* eux-mêmes, une méthode systémique et globale s’inspirant des écosystèmes naturels pour la conception de systèmes de productions durables. Formulée de la sorte, la permaculture devrait donc pouvoir être appliquée à tout système de production ou organisation humaine. Toutefois, pour une raison qui reste à éclaircir, ce concept reste encore largement associé à la seule production agricole et, dans une moindre mesure, à la conception d’habitats ruraux.

Pourtant, en les étudiant de plus près, les principes de conception permaculturelle, reposant à la fois sur une approche empirique et des fondamentaux scientifiques solides, sont suffisamment robustes pour être déclinés avec pertinence à la conception, à quelque échelle que ce soit, de systèmes de production industriels ou tertiaires, ou encore de modèles économiques, voire globalement à toute activité ou tout système conçu, aménagé et géré par l’Homme.

Il semble que nos socles culturels et éducatifs, reposant encore largement sur une approche réductionniste, n’aient pas facilité la pénétration des nouvelles approches systémiques, holistiques et fractales, pourtant plus aptes à décrire les fonctionnements des systèmes vivants, et ce dans des disciplines aussi diverses que la biologie, l’écologie, la psychologie, la sociologie ou même… l’économie. La quête de compétitivité, ce Graal des temps modernes, faisant le reste en favorisant la recherche de résultats rapides en toutes choses, quels qu’en soient le prix à payer et les conséquences à moyen ou long terme.

L’illusion confortable d’un « développement durable » qui ne nécessiterait que des ajustements marginaux aux systèmes de production hérités de la révolution industrielle, et la croyance sans faille dans le fait que le progrès technologique apporterait en temps utile les solutions à tous nos problèmes nous ont, à la fois, détournés d’une nécessaire réflexion lucide sur le sens de l’économie et du développement, et fait passer à coté de formidables opportunités. Il n’est toutefois, fort heureusement, pas trop tard.

Si nous avons aujourd’hui à notre disposition l’ensemble des outils, concepts et méthodes nécessaires, comme le sont par exemple l’économie circulaire, l’économie de fonctionnalité, le biomimétisme, l’économie de la connaissance ou le concept de réinvestissement dans le capital naturel, il nous manque l’essentiel : un cadre conceptuel stratégique cohérent et opérationnel pour passer de la réflexion à l’action, des concepts aux réalisations. Ce cadre stratégique, inspiré des principes de la conception permaculturelle, c’est la permaéconomie.

La permaéconomie ? Qu’est-ce que c’est ? Pourquoi ce nouveau concept ? Le paragraphe qui suit propose à la fois une première définition et une réponse à cette question :

« La permaéconomie est une économie entretenant d’elle même les conditions de sa propre pérennité. Inspirée de la permaculture, dont elle transpose les principes à l’économie en général, elle vise une production de valeur nette positive, compatible avec les limites de la biosphère. Son objectif est de permettre une production de biens et de services rentables et créateurs d’emplois tout en réinvestissant dans les socles fondamentaux que sont les humains, la société et les écosystèmes. A ce titre, elle cherche à éviter tout coût caché et toute externalité négative, et à dépasser la notion de compensation pour aller vers une consolidation, voire si nécessaire une régénération des facteurs de productions pris au sens large. Il s’agit notamment de la compétence, la confiance et l’épanouissement personnel pour ce qui concerne le capital humain ; de la cohésion sociale, du vivre ensemble, de la sécurité et de l’accès aux soins, à l’information et à l’éducation pour ce qui concerne le capital social ; et enfin de la pleine fonctionnalité, de la résilience et de la capacité d’évolution des écosystèmes pour ce qui concerne le capital écologique. En complétant et en articulant l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité et de la coopération, le biomimétisme et l’innovation agile, la permaéconomie offre un cadre éthique et opérationnel, à la fois systémique, c’est à dire mettant l’action sur les liens et les interrelations plutôt que sur les entités, holistique, c’est à dire offrant une vision globale et décloisonnée, et fractal, c’est à dire déclinable à toute échelle, du projet à l’organisation des systèmes de production en passant par celle des territoires. »

Ma conviction est que la permaéconomie, telle qu’elle est ici proposée, est une opportunité à saisir pour tout acteur économique : du porteur de projet à la grande entreprise, en passant par les TPE et PME, mais aussi les territoires et collectivités. Déclinés en outils simples et concret, ses principes** sont de nature à guider toute personne ou organisation, que ce soit dans la phase d’élaboration des projets ou dans leur conduite opérationnelle.

* Les australiens Bill Mollison et David Holmgren.

** La description détaillé des 12 principes est en annexe du livre.

Meilleurs vœux

Chers Lecteurs,

Pour cette nouvelle année, pour ce nouveau cycle qui, espérons-le, commence aujourd’hui, je nous souhaite ;
De trouver en nous, fusse au plus profond de nous, la force de ne pas céder au découragement,
De veiller, ensemble, sur cette force, comme nos ancêtres veillaient sur les braises d’un feu qui jamais ne devait s’éteindre, tant il était vital pour la cohésion et la survie même de leur groupe,
De discerner, au delà du fracas assourdissant de nos cinglantes défaites, ces petites, si fragiles et si discrètes victoires qui pourtant en annoncent tant d’autres possibles,
D’être conscients à quel point être vivant est un privilège qui nous oblige,
De comprendre que vivre, c’est être relié : à soi, aux autres, et au monde vivant. De sentir vibrer ces liens pour mesurer à quel point ils sont fragiles,
De consolider et retisser, inlassablement, ces liens à nous mêmes, aux autres et au vivant, pour être, ensemble, les tisserands qui réparent la toile déchirée du monde, comme l’a si joliment dit Abdenour Bidar,
De renoncer aux « ou », pour accueillir, par les « et » et les « avec », toutes les diversités qui font la richesse de la vie,
De trouver le temps de ces plaisirs simples, futiles en apparence seulement, car ce sont d’eux que dépend notre capacité à donner,
De prendre soin d’aimer, de partager et d’encourager,
Et enfin d’avoir l’audace, si ce n’est l’arrogance mais qu’importe, de penser que nos actions pourront, en se joignant à celles de tant d’autres animés du même amour et des mêmes désirs, contribuer à faire en sorte que d’autres demains seront possibles.

Meilleurs vœux,

Emmanuel Delannoy